La Cousine Bette

Chapitre 131Eloge de l’oubli

Lisbeth, déjà bien malheureuse du bonheur qui luisait sur lafamille, ne put soutenir cet événement heureux. Elle empira sibien, qu’elle fut condamnée par Bianchon à mourir une semaineaprès, vaincue au bout de cette longue lutte marquée pour elle partant de victoires. Elle garda le secret de sa haine au milieu del’affreuse agonie d’une phtisie pulmonaire. Elle eut d’ailleurs lasatisfaction suprême de voir Adeline, Hortense, Hulot, Victorin,Steinbock, Célestin et leurs enfants tous en larmes autour de sonlit, et la regrettant comme l’ange de la famille. Le baron Hulot,mis à un régime substantiel qu’il ignorait depuis bientôt troisans, reprit de la force, et il se ressembla presque à lui-même.Cette restauration rendit Adeline heureuse à un tel point quel’intensité de son tressaillement nerveux diminua.

– Elle finira par être heureuse ! se dit Lisbeth la veillede sa mort en voyant l’espèce de vénération que le baron témoignaità sa femme, dont les souffrances lui avaient été racontées parHortense et par Victorin.

Ce sentiment hâta la fin de la cousine Bette, dont le convoi futmené par toute une famille en larmes.

Le baron et la baronne Hulot, se voyant arrivés à l’âge du reposabsolu, donnèrent au comte et à la comtesse Steinbock lesmagnifiques appartements du premier étage, et se logèrent ausecond. Le baron, par les soins de son fils, obtint une place dansun chemin de fer, au commencement de l’année 1845, avec six millefrancs d’appointements, qui, joints aux six mille francs de pensionde sa retraite et à la fortune léguée par Mme Crevel, luicomposèrent vingt-quatre mille francs de rente. Hortense ayant étéséparée de biens avec son mari pendant les trois années debrouille, Victorin n’hésita plus à placer au nom de sa sœur lesdeux cent mille francs du fidéicommis, et il fit à Hortense unepension de douze mille francs. Wenceslas, mari d’une femme riche,ne lui faisait aucune infidélité; mais il flânait, sans pouvoir serésoudre à entreprendre une œuvre, si petite qu’elle fût. Redevenuartiste in partibus, il avait beaucoup de succès dans les salons,il était consulté par beaucoup d’amateurs ; enfin il passacritique, comme tous les impuissants qui mentent à leursdébuts.

Chacun de ces ménages jouissait donc d’une fortune particulière,quoique vivant en famille. Eclairée par tant de malheurs, labaronne laissait à son fils le soin de gérer les affaires, etréduisait ainsi le baron à ses appointements, espérant quel’exiguïté de ce revenu l’empêcherait de retomber dans sesanciennes erreurs. Mais, par un bonheur étrange, et sur lequel nila mère ni le fils ne comptaient, le baron semblait avoir renoncéau beau sexe. Sa tranquillité, mise sur le compte de la nature,avait fini par tellement rassurer la famille, qu’on jouissaitentièrement de l’amabilité revenue et des charmantes qualités dubaron d’Ervy. Plein d’attention pour sa femme et pour ses enfants,il les accompagnait au spectacle, dans le monde où il reparut, etil faisait avec une grâce exquise les honneurs du salon de sonfils. Enfin, ce père prodigue reconquis donnait la plus grandesatisfaction à sa famille. C’était un agréable vieillard,complètement détruit, mais spirituel, n’ayant gardé de son vice quece qui pouvait en faire une vertu sociale. On arriva naturellementà une sécurité complète. Les enfants et la baronne portaient auxnues le père de famille, oubliant la mort des deux oncles ! Lavie ne va pas sans de grands oublis !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer