La Cousine Bette

Chapitre 82Opération chirurgicale

Le baron qui devait signer le procès-verbal, restait là touthébété, seul avec le commissaire de police. Quand le conseillerd’Etat eut signé, le commissaire de police le regarda d’un air fin,par-dessus ses lunettes.

– Vous aimez beaucoup cette petite dame, monsieur lebaron ?

– Pour mon malheur, vous le voyez…

– Si elle ne vous aimait pas ? reprit le commissaire, sielle vous trompait ?…

– Je l’ai déjà su, là, monsieur, à cette place… Nous nous lesommes dit, M. Crevel et moi…

– Ah ! vous savez que vous êtes ici dans la petite maisonde M. le maire ?

– Parfaitement.

Le commissaire souleva légèrement son chapeau pour saluer levieillard.

– Vous êtes bien amoureux, je me tais, dit-il. Je respecte lespassions invétérées, autant que les médecins respectent lesmaladies invé… J’ai vu M. de Nucingen, le banquier, atteint d’unepassion de ce genre-là…

– C’est un des mes amis, reprit le baron. J’ai soupé biensouvent avec la belle Esther, elle valait les deux millions qu’ellelui a coûté.

– Plus, dit le commissaire. Cette fantaisie du vieux financier acoûté la vie à quatre personnes. Oh ! ces passions-là, c’estcomme le choléra.

– Qu’aviez-vous à me dire ? demanda le conseiller d’Etat,qui prit mal cet avis indirect.

– Pourquoi vous ôterais-je vos illusions ? répliqua lecommissaire de police ; il est si rare d’en conserver à votreâge.

– Débarrassez-m’en ! s’écria le conseiller d’Etat.

– On maudit le médecin plus tard, répondit le commissaire ensouriant.

– De grâce, monsieur le commissaire ?…

– Eh bien, cette femme était d’accord avec son mari.

– Oh !…

– Cela, monsieur, arrive deux fois sur dix. Oh ! nous nousy connaissons.

– Quelle preuve avez-vous de cette complicité?

– Oh ! d’abord le mari !… dit le fin commissaire depolice avec le calme d’un chirurgien habitué à débrider des plaies.La spéculation est écrite sur cette plate et atroce figure. Mais nedeviez-vous pas beaucoup tenir à certaine lettre écrite par cettefemme et où il est question de l’enfant ?

– Je tiens tant à cette lettre que je la porte toujours sur moi,répondit le baron Hulot au commissaire de police en fouillant danssa poche de côté pour prendre le petit portefeuille qui ne lequittait jamais.

– Laissez le portefeuille où il est, dit le commissaire,foudroyant comme un réquisitoire, voici la lettre. Je saismaintenant tout ce que je voulais savoir. Mme Marneffe devait êtredans la confidence de ce que contenait ce portefeuille.

– Elle seule au monde.

– C’est ce que je pensais… Maintenant, voici la preuve que vousme demandez de la complicité de cette petite femme.

– Voyons ! dit le baron encore incrédule.

– Quand nous sommes arrivés, monsieur le baron, reprit lecommissaire, ce misérable Marneffe a passé le premier, et il a priscette lettre, que sa femme avait sans doute posée sur ce meuble,dit-il en montrant le bonheur-du-jour. Evidemment, cette placeavait été convenue entre la femme et le mari, si toutefois elleparvenait à vous dérober la lettre pendant votre sommeil ; carla lettre que cette dame vous a écrite est, avec celles que vouslui avez adressées, décisive au procès correctionnel.

Le commissaire fit voir à Hulot la lettre que le baron avaitreçue par Reine dans son cabinet au ministère.

– Elle fait partie du dossier, dit le commissaire,rendez-la-moi, monsieur.

– Eh bien, monsieur, dit Hulot, dont la figure se décomposa,cette femme, c’est le libertinage en coupes réglées, je suiscertain maintenant qu’elle a trois amants !

– Ça se voit, dit le commissaire de police. Ah ! elles nesont pas toutes sur le trottoir. Quand on fait ce métier-là,monsieur le baron, en équipage, dans les salons, ou dans sonménage, il ne s’agit plus de francs ni de centimes. Mlle Esther,dont vous parlez, et qui s’est empoisonnée, a dévoré des millions…Si vous m’en croyez, vous détellerez, monsieur le baron. Cettedernière partie vous coûtera cher. Ce gredin de mari a pour lui laloi… Enfin, sans moi, la petite femme vous repinçait !

– Merci, monsieur, dit le conseiller d’Etat, qui tâcha de garderune contenance digne.

– Monsieur, nous allons fermer l’appartement, la farce estjouée, et vous remettrez la clef à M. le maire.

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