La Cousine Bette

Chapitre 86Autre toilette

Adeline, rentrée dans sa chambre, alla s’examiner au miroir.Elle se contempla tristement et curieusement, en se demandant àelle-même :

– Suis-je encore belle ?… Peut-on me désirer encore ?…Ai-je des rides ?…

Elle souleva ses beaux cheveux blonds et se découvrit lestempes… là, tout était frais comme chez une jeune fille. Adelinealla plus loin, elle se découvrit les épaules et fut satisfaite,elle eut un mouvement d’orgueil. La beauté des épaules qui sontbelles est celle qui s’en va la dernière chez la femme, surtoutquand la vie a été pure. Adeline choisit avec soin les éléments desa toilette ; mais la femme pieuse et chaste resta chastementmise, malgré ses petites inventions de coquetterie. A quoi bon desbas de soie gris tout neufs, des souliers en satin à cothurnes,puisqu’elle ignorait totalement l’art d’avancer, au moment décisif,un joli pied en le faisant dépasser de quelques lignes une robe àdemi soulevée pour ouvrir des horizons au désir ! Elle mitbien sa plus jolie robe de mousseline à fleurs peintes, décolletéeet à manches courtes ; mais, épouvantée de ses nudités, ellecouvrit ses beaux bras de manches en gaze claire, elle voila sapoitrine et ses épaules d’un fichu brodé. Sa coiffure à l’anglaiselui parut être trop significative, elle en éteignit l’entrain parun très joli bonnet ; mais, avec ou sans bonnet, eût-elle sujouer avec ses rouleaux dorés pour exhiber, pour faire admirer sesmains en fuseau ?… Voici quel fut son fard. La certitude de sacriminalité, les préparatifs d’une faute délibérée causèrent àcette sainte femme une violente fièvre qui lui rendit l’éclat de lajeunesse pour un moment. Ses yeux brillèrent, son teint resplendit.Au lieu de se donner un air séduisant, elle se vit en quelque sorteun air dévergondé qui lui fit horreur. Lisbeth avait, à la prièred’Adeline, raconté les circonstances de l’infidélité de Wenceslas,et la baronne avait alors appris, à son grand étonnement, qu’en unesoirée, en un moment, Mme Marneffe s’était rendue maîtresse del’artiste ensorcelé.

– Comment font ces femmes ? avait demandé la baronne àLisbeth.

Rien n’égale la curiosité des femmes vertueuses à ce sujet,elles voudraient posséder les séductions du vice et resterpures.

– Mais elles séduisent, c’est leur état, avait répondu lacousine Bette. Valérie était, ce soir-là, vois-tu ma chère, à fairedamner un ange.

– Raconte-moi donc comment elle s’y est prise.

– Il n’y a pas de théorie, il n’y a que la pratique dans cemétier, avait dit railleusement Lisbeth.

La baronne, en se rappelant cette conversation, aurait vouluconsulter la cousine Bette ; mais le temps manquait. La pauvreAdeline, incapable d’inventer une mouche, de se poser un bouton derose dans le beau milieu du corsage, de trouver les stratagèmes detoilette destinés à réveiller chez les hommes des désirs amortis,ne fut que soigneusement habillée. N’est pas courtisane quiveut ! « La femme est le potage de l’homme », a dit plaisammentMolière par la bouche du judicieux Gros-René. Cette comparaisonsuppose une sorte de science culinaire en amour. La femme vertueuseet digne serait alors le repas homérique, la chair jetée sur lescharbons ardents. La courtisane, au contraire, serait l’œuvre deCarême avec ses condiments, avec ses épices et ses recherches. Labaronne ne pouvait pas, ne savait pas servir sa blanche poitrinedans un magnifique plat de guipure, à l’instar de Mme Marneffe.Elle ignorait le secret de certaines attitudes, l’effet de certainsregards. Enfin, elle n’avait pas sa botte secrète. La noble femmese serait bien retournée cent fois, elle n’aurait rien su offrir àl’oeil savant du libertin.

Etre une honnête et prude femme pour le monde, et se fairecourtisane pour son mari, c’est être une femme de génie, et il y ena peu. Là est le secret des longs attachements, inexplicables pourles femmes qui sont déshéritées de ces doubles et magnifiquesfacultés. Supposez Mme Marneffe vertueuse !… vous avez lamarquise de Pescaire ! Ces grandes et illustres femmes, cesbelles Diane de Poitiers vertueuses, on les compte.

La scène par laquelle commence cette sérieuse et terrible Etudede mœurs parisiennes allait donc se reproduire, avec cettesingulière différence que les misères prophétisées par le capitainede la milice bourgeoise y changeaient les rôles. Mme Hulotattendait Crevel dans les intentions qui le faisaient venir ensouriant aux Parisiens du haut de son milord, trois ans auparavant.Enfin, chose étrange ! la baronne était fidèle à elle-même, àson amour, en se livrant à la plus grossière des infidélités, celleque l’entraînement d’une passion ne justifie pas aux yeux decertains juges.

– Comment faire pour être une Mme Marneffe ? se dit-elle enentendant sonner.

Elle comprima ses larmes, la fièvre anima ses traits, elle sepromit d’être bien courtisane, la pauvre et noblecréature !

– Que diable me veut cette brave baronne Hulot ? se disaitCrevel en montant le grand escalier. Ah bah ! elle va meparler de ma querelle avec Célestine et Victorin ; mais je neplierai pas !…

En entrant dans le salon, où il suivait Louise, il se dit enregardant la nudité du local (style Crevel):

– Pauvre femme !… la voilà comme ces beaux tableaux mis augrenier par un homme qui ne se connaît pas en peinture.

Crevel, qui voyait le comte Popinot, ministre du commerce,achetant des tableaux et des statues, voulait se rendre célèbreparmi les Mécènes parisiens dont l’amour pour les arts consiste àchercher des pièces de vingt francs pour des pièces de vingtsous.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer