La Cousine Bette

Chapitre 67Un soupçon suit toujours le premier coup de poignard

Quand, après avoir reconduit la baronne, Wenceslas et sa femmefurent revenus dans leur chambre, Hortense dit à son mari :

– Raconte-moi ta soirée !

Et elle épia le visage de Wenceslas pendant ce récit, entrecoupéde ces questions qui se pressent sur les lèvres d’une femme enpareil cas. Ce récit rendit Hortense songeuse, elle entrevoyait lesdiaboliques amusements que des artistes devaient trouver dans cettevicieuse société.

– Sois franc, mon Wenceslas !… il y avait là Stidmann,Claude Vignon, Vernisset, qui encore ?… Enfin tu t’esamusé!…

– Moi ?… je ne pensais qu’à nos dix mille francs, et je medisais : « Mon Hortense sera sans inquiétude ! »

Cet interrogatoire fatiguait énormément le Livonien, et ilsaisit un moment de gaieté pour dire à Hortense :

– Et toi, mon ange, qu’aurais-tu fait si ton artiste s’étaittrouvé coupable ?…

– Moi, dit-elle d’un petit air décidé, j’aurais pris Stidmann,mais sans l’aimer, bien entendu !

– Hortense ! s’écria Steinbock en se levant avec brusquerieet par un mouvement théâtral, tu n’en aurais pas eu le temps, jet’aurais tuée.

Hortense se jeta sur son mari, l’embrassa à l’étouffer, lecouvrit de caresses et lui dit :

– Ah ! tu m’aimes, Wenceslas ! va, je ne crainsrien ! Mais plus de Marneffe. Ne te plonge plus jamais dans desemblables bourbiers…

– Je te jure, ma chère Hortense, que je n’y retournerai que pourretirer mon billet… .

Elle bouda, mais comme boudent les femmes aimantes qui veulentles bénéfices d’une bouderie. Wenceslas, fatigué d’une pareillematinée, laissa bouder sa femme et partit pour son atelier y fairela maquette du groupe de Samson et Dalila, dont le dessin étaitdans sa poche. Hortense, inquiète de sa bouderie et croyantWenceslas fâché, vint à l’atelier au moment où son mari finissaitde fouiller sa glaise avec cette rage qui pousse les artistes enpuissance de fantaisie. A l’aspect de sa femme, il jeta vivement unlinge mouillé sur le groupe ébauché, et prit Hortense dans ses deuxbras en lui disant :

– Ah ! nous ne sommes pas fâchés, n’est-ce pas, maminette ?

Hortense avait vu le groupe, le linge jeté dessus, elle ne ditrien ; mais, avant de quitter l’atelier, elle se retourna,saisit le chiffon, regarda l’esquisse et demanda :

– Qu’est-ce que cela ?

– Un groupe dont l’idée m’est venue.

– Et pourquoi me l’as-tu caché?

– Je voulais ne te le montrer que fini.

– La femme est bien jolie ! dit Hortense.

Et mille soupçons poussèrent dans son âme comme poussent, dansles Indes, ces végétations, grandes et touffues, du jour aulendemain.

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