La Cousine Bette

Chapitre 83Réflexions morales

Hulot revint chez lui dans un état d’abattement voisin de ladéfaillance, et perdu dans les pensées les plus sombres. Ilréveilla sa noble, sa sainte et pure femme, et il lui jetal’histoire de ces trois années dans le cœur, en sanglotant comme unenfant à qui l’on ôte un jouet. Cette confession d’un vieillardjeune de cœur, cette affreuse et navrante épopée, tout enattendrissant intérieurement Adeline, lui causa la joie intérieurela plus vive, elle remercia le ciel de ce dernier coup, car ellevit son mari fixé toujours au sein de la famille.

– Lisbeth avait raison ! dit Mme Hulot d’une voix douce etsans faire de remontrances inutiles, elle nous a dit celad’avance.

– Oui ! Ah ! si je l’avais écoutée, au lieu de memettre en colère, le jour où je voulais que la pauvre Hortenserentrât dans son ménage pour ne pas compromettre la réputation decette… Oh ! chère Adeline, il faut sauver Wenceslas ! ilest dans cette fange jusqu’au menton !

– Mon pauvre ami, la petite bourgeoise ne t’a pas mieux réussique les actrices, dit Adeline en souriant.

La baronne était effrayée du changement que présentait sonHector ; quand elle le voyait malheureux, souffrant, courbésous le poids des peines, elle était tout cœur, tout pitié, toutamour, elle eût donné son sang pour rendre Hulot heureux.

– Reste avec nous, mon cher Hector. Dis-moi comment elles font,ces femmes, pour t’attacher ainsi ; je tâcherai… Pourquoi nem’as-tu pas formée à ton usage ? est-ce que je manqued’intelligence ? on me trouve encore assez belle pour me fairela cour.

Beaucoup de femmes mariées, attachées à leurs devoirs et à leursmaris, pourront ici se demander pourquoi ces hommes si forts et sibons, si pitoyables à des madame Marneffe, ne prennent pas leursfemmes, surtout quand elles ressemblent à la baronne Adeline Hulot,pour l’objet de leur fantaisie et de leurs passions. Ceci tient auxplus profonds mystères de l’organisation humaine. L’amour, cetteimmense débauche de la raison, ce mâle et sévère plaisir desgrandes âmes, et le plaisir, cette vulgarité vendue sur la place,sont deux faces différentes d’un même fait. La femme qui satisfaitces deux vastes appétits des deux natures est aussi rare, dans lesexe, que le grand général, le grand écrivain, le grand artiste, legrand inventeur le sont dans une nation. L’homme supérieur commel’imbécile, un Hulot comme un Crevel ressentent également le besoinde l’idéal et celui du plaisir ; tous vont cherchant cemystérieux androgyne, cette rareté, qui, la plupart du temps, setrouve être un ouvrage en deux volumes. Cette recherche est unedépravation due à la société. Certes, le mariage doit être acceptécomme une tâche, il est la vie avec ses travaux et ses durssacrifices également faits des deux côtés. Les libertins, ceschercheurs de trésors, sont aussi coupables que d’autresmalfaiteurs plus sévèrement punis qu’eux. Cette réflexion n’est pasun placage de morale, elle donne la raison de bien des malheursincompris. Cette Scène porte d’ailleurs avec elle ses moralités,qui sont de plus d’un genre.

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