La Cousine Bette

Chapitre 126La nouvelle Atala tout aussi sauvage que l’autre et pas aussicatholique

Mlle Judici tenait du sang paternel cette peau jaunâtre au jour,qui, le soir, aux lumières, devient d’une blancheur éclatante, desyeux d’une grandeur, d’une forme, d’un éclat oriental, des cilsfournis et recourbés qui ressemblaient à de petites plumes noires,une chevelure d’ébène, et cette majesté native de la Lombardie quifait croire à l’étranger, quand il se promène le dimanche à Milan,que les filles des portiers sont autant de reines. Atala, prévenuepar la fille du fumiste de la visite de cette grande dame, dontelle avait entendu parler, avait mis à la hâte une jolie robe desoie, des brodequins et un mantelet élégant. Un bonnet à rubanscouleur cerise décuplait l’effet de la tête. Cette petite se tenaitdans une pose de curiosité naïve, en examinant du coin de l’oeil labaronne, dont le tremblement nerveux l’étonnait beaucoup. Labaronne poussa un profond soupir en voyant ce chef-d’œuvre féminindans la boue de la prostitution, et jura de la ramener à lavertu.

– Comment te nommes-tu, mon enfant ?

– Atala, madame.

– Sais-tu lire, écrire ?

– Non, madame ; mais cela ne fait rien, puisque monsieur lesait…

– Tes parents t’ont-ils menée à l’église ? As-tu fait tapremière communion ? Sais-tu ton catéchisme ?

– Madame, papa voulait me faire faire des choses qui ressemblentà ce que vous dites, mais maman s’y est opposée…

– Ta mère !… s’écria la baronne. Elle est donc bienméchante, ta mère ?

– Elle me battait toujours ! Je ne sais pourquoi, maisj’étais le sujet de disputes continuelles entre mon père et mamère…

– On ne t’a donc jamais parlé de Dieu ? s’écria labaronne.

L’enfant ouvrit de grands yeux.

– Ah ! maman et papa disaient souvent : « S… n… deDieu ! Tonnerre de Dieu ! Sacre Dieu !…  » dit-elleavec une délicieuse naïveté.

– N’as-tu jamais vu d’églises ? ne t’est-il pas venu dansl’idée d’y entrer ?

– Des églises ?… Ah ! Notre-Dame, le Panthéon, j’ai vucela de loin, quand papa m’emmenait dans Paris ; mais celan’arrivait pas souvent. Il n’y a pas de ces églises-là dans lefaubourg.

– Dans quel faubourg étiez-vous ?

– Dans le faubourg…

– Quel faubourg ?

– Mais rue de Charonne, madame…

Les gens du faubourg Saint-Antoine n’appellent jamais autrementce quartier célèbre que le faubourg. C’est pour eux le faubourg parexcellence, le souverain faubourg, et les fabricants eux-mêmesentendent par ce mot spécialement le faubourg Saint-Antoine.

– On ne t’a jamais dit ce qui était bien, ce qui étaitmal ?

– Maman me battait quand je ne faisais pas les choses à sonidée…

– Mais ne savais-tu pas que tu commettais une mauvaise action enquittant ton père et ta mère pour aller vivre avec unvieillard ?

Atala Judici regarda d’un air superbe la baronne, et ne luirépondit pas.

– C’est une fille tout à fait sauvage ! se dit Adeline.

– Oh ! madame, il y en a beaucoup comme elle aufaubourg ! dit la femme du fumiste.

– Mais elle ignore tout, même le mal, mon Dieu !

– Pourquoi ne me réponds-tu pas ? demanda la baronne enessayant de prendre Atala par la main.

Atala, courroucée, recula d’un pas.

– Vous êtes une vieille folle ! dit-elle. Mon père et mamère étaient à jeun depuis une semaine ! Ma mère voulait fairede moi quelque chose de bien mauvais, puisque mon père l’a battueen l’appelant voleuse ! Pour lors, M. Vyder a payé toutes lesdettes de mon père et de ma mère, et leur a donné de l’argent…oh ! plein un sac !… Et il m’a emmenée, que mon pauvrepapa pleurait… Mais il fallait nous quitter !… Eh bien, est-cemal ? demanda-t-elle.

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