La Cousine Bette

Chapitre 97Départ du père prodigue

Adeline, voyant le baron entre la vie et la mort, réussit à luicacher pendant quelques jours le décès du maréchal ; maisLisbeth vint en deuil, et la fatale vérité lui fut révélée onzejours après les funérailles. Ce coup terrible rendit de l’énergieau malade, il se leva, trouva toute sa famille réunie au salon,habillée de noir, et elle devint silencieuse à son aspect. Enquinze jours, Hulot, devenu maigre comme un spectre, offrit à safamille une ombre de lui-même.

– Il faut prendre un parti, dit-il d’une voix éteinte ens’asseyant sur un fauteuil et regardant cette réunion où manquaientCrevel et Steinbock.

– Nous ne pouvons plus rester ici, faisait observer Hortense aumoment où son père se montra, le loyer est trop cher…

– Quant à la question du logement, dit Victorin en rompant cepénible silence, j’offre à ma mère…

En entendant ces mots, qui semblaient l’exclure, le baron relevasa tête inclinée vers le tapis où il contemplait les fleurs sansles voir, et jeta sur l’avocat un déplorable regard. Les droits dupère sont toujours si sacrés, même lorsqu’il est infâme etdépouillé d’honneur, que Victorin s’arrêta.

– A votre mère… , reprit le baron. Vous avez raison, monfils !

– L’appartement au-dessus du nôtre, dans notre pavillon, ditCélestine achevant la phrase de son mari.

– Je vous gêne, mes enfants ?… dit le baron avec la douceurdes gens qui se sont condamnés eux-mêmes. Oh ! soyez sansinquiétude pour l’avenir, vous n’aurez plus à vous plaindre devotre père, et vous ne le reverrez qu’au moment où vous n’aurezplus à rougir de lui.

Il alla prendre Hortense et la baisa au front. Il ouvrit sesbras à son fils, qui s’y jeta désespérément en devinant lesintentions de son père. Le baron fit un signe à Lisbeth, qui vint,et il l’embrassa au front. Puis il se retira dans sa chambre, oùAdeline, dont l’inquiétude était poignante, le suivit.

– Mon frère avait raison, Adeline, lui dit-il en la prenant parla main. Je suis indigne de la vie de famille. Je n’ai pas osébénir autrement que dans mon cœur, mes pauvres enfants, dont laconduite a été sublime ; dis-leur que je n’ai pu que lesembrasser ; car, d’un homme infâme, d’un père qui devientl’assassin, le fléau de la famille, au lieu d’en être le protecteuret la gloire, une bénédiction pourrait être funeste ; mais jeles bénirai de loin, tous les jours. Quant à toi, Dieu seul, car ilest tout-puissant, peut te donner des récompenses proportionnées àtes mérites !… Je te demande pardon, dit-il en s’agenouillantdevant sa femme, lui prenant les mains et les mouillant delarmes.

– Hector ! Hector ! tes fautes sont grandes ;mais la miséricorde divine est infinie, et tu peux tout réparer enrestant avec moi… Relève-toi dans des sentiments chrétiens, monami… Je suis ta femme et non ton juge. Je suis ta chose, fais demoi tout ce que tu voudras, mène-moi où tu iras, je me sens laforce de te consoler, de te rendre la vie supportable, à forced’amour, de soins et de respect !… Nos enfants sont établis,ils n’ont plus besoin de moi. Laisse-moi tâcher d’être tonamusement, ta distraction. Permets-moi de partager les peines deton exil, de ta misère, pour les adoucir. Je te serai toujoursbonne à quelque chose, ne fût-ce qu’à t’épargner la dépense d’uneservante…

– Me pardonnes-tu, ma chère et bien-aimée Adeline ?

– Oui ; mais, mon ami, relève-toi !

– Eh bien, avec ce pardon, je pourrai vivre ! reprit-il ense relevant. Je suis rentré dans notre chambre pour que nos enfantsne fussent pas témoins de l’abaissement de leur père. Ah !voir tous les jours devant soi un père, criminel comme je le suis,il y a quelque chose d’épouvantable qui ravale le pouvoir paternelet qui dissout la famille. Je ne puis donc rester au milieu devous, je vous quitte pour vous épargner l’odieux spectacle d’unpère sans dignité. Ne t’oppose pas à ma fuite, Adeline. Ce seraitarmer toi-même le pistolet avec lequel je me ferais sauter lacervelle… Enfin, ne me suis pas dans ma retraite, tu me priveraisde la seule force qui me reste, celle du remords.

L’énergie d’Hector imposa silence à la mourante Adeline. Cettefemme, si grande au milieu de tant de ruines, puisait son couragedans son intime union avec son mari ; car elle le voyait àelle, elle apercevait la mission sublime de le consoler, de lerendre à la vie de famille, et de le réconcilier avec lui-même.

– Hector, tu veux donc me laisser mourir de désespoir,d’anxiétés, d’inquiétudes !… dit-elle en se voyant enlever leprincipe de sa force.

– Je te reviendrai, ange descendu du ciel, je crois, exprès pourmoi ; je vous reviendrai, sinon riche, du moins dansl’aisance. Ecoute, ma bonne Adeline, je ne puis rester ici par unefoule de raisons. D’abord, ma pension, qui sera de six millefrancs, est engagée pour quatre ans, je n’ai donc rien. Ce n’estpas tout ! je vais être sous le coup de la contrainte parcorps dans quelques jours, à cause des lettres de change souscritesà Vauvinet… Ainsi, je dois m’absenter, jusqu’à ce que mon fils, àqui je vais laisser des instructions précises, ait racheté cestitres. Ma disparition aidera puissamment cette opération. Lorsquema pension de retraite sera libre, lorsque Vauvinet sera payé, jevous reviendrai… Tu décèlerais le secret de mon exil. Soistranquille, ne pleure pas, Adeline… Il ne s’agit que d’un mois…

– Où iras-tu ? que feras-tu ? que deviendras-tu ?qui te soignera, toi qui n’es plus jeune ? Laisse-moidisparaître avec toi, nous irons à l’étranger, dit-elle.

– Eh bien, nous allons voir, répondit-il.

Le baron sonna, donna l’ordre à Mariette de rassembler tous seseffets, de les mettre secrètement et promptement dans des malles.Puis il pria sa femme, après l’avoir embrassée, avec une effusionde tendresse à laquelle elle n’était pas habituée, de le laisser unmoment seul pour écrire les instructions dont avait besoinVictorin, en lui promettant de ne quitter la maison qu’à la nuit etavec elle. Dès que la baronne fut rentrée au salon, le finvieillard passa par le cabinet de toilette, gagna l’antichambre etsortit en remettant à Mariette un carré de papier sur lequel ilavait écrit : « Adressez mes malles par le chemin de fer de Corbeil,à M. Hector, bureau restant, à Corbeil. » Le baron, monté dans unfiacre, courait déjà dans Paris lorsque Mariette vint montrer à labaronne ce mot, en lui disant que monsieur venait de sortir.Adeline s’élança dans la chambre, en tremblant plus fortement quejamais ; ses enfants, effrayés, l’y suivirent en entendant uncri perçant. On releva la baronne évanouie ; il fallut lamettre au lit, car elle fut prise d’une fièvre nerveuse qui la tintentre la vie et la mort pendant un mois.

– Où est-il ? était la seule parole qu’on obtenaitd’elle.

Les recherches de Victorin furent infructueuses. Voicipourquoi.

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