La Cousine Bette

Chapitre 127Continuation du précédent

– Et aimez-vous bien ce M. Vyder ?

– Si je l’aime ?… dit-elle. Je crois bien, madame ! Ilme raconte de belles histoires tous les soirs !… et il m’adonné de belles robes, du linge, un châle. Mais c’est que je suisnippée comme une princesse, et je ne porte plus de sabots !Enfin, depuis deux mois, je ne sais plus ce que c’est que d’avoirfaim. Je ne mange plus de pommes de terre ! Il m’apporte desbonbons, des pralines ! Oh ! que c’est bon, le chocolatpraliné!… Je fais tout ce qu’il veut pour un sac de chocolat !Et puis, mon gros père Vyder est bien bon, il me soigne si bien, sigentiment, que ça me fait voir comment aurait dû être ma mère… Ilva prendre une vieille bonne pour me soigner, car il ne veut pasque je me salisse les mains à faire la cuisine. Depuis un mois, ilcommence à gagner pas mal d’argent ; il m’apporte trois francstous les soirs, que je mets dans une tirelire ! Seulement, ilne veut pas que je sorte, excepté pour venir ici… C’est ça un amourd’homme ! aussi fait-il de moi ce qu’il veut… Il m’appelle sapetite chatte ! et ma mère ne m’appelait que petite b… , oubien f… p… ! voleuse, vermine ! Est-ce que je sais !

– Eh bien, pourquoi, mon enfant, ne ferais-tu pas ton mari dupère Vyder ?

– Mais c’est fait, madame ! dit la jeune fille en regardantla baronne d’un air plein de fierté, sans rougir, le front pur, lesyeux calmes. Il m’a dit que j’étais sa petite femme ; maisc’est bien embêtant d’être la femme d’un homme !… Allez, sansles pralines !…

– Mon Dieu ! se dit à voix basse la baronne, quel est lemonstre qui a pu abuser d’une si complète et si sainteinnocence ? Remettre cette enfant dans le bon sentier,n’est-ce pas racheter bien des fautes ! Moi, je savais ce queje faisais ! se dit-elle en pensant à sa scène avec Crevel.Elle, elle ignore tout !

– Connaissez-vous M. Samanon ?… demanda la petite Atalad’un air câlin.

– Non, ma petite ; mais pourquoi me demandes-tucela ?

– Bien vrai ? dit l’innocente créature.

– Ne crains rien de madame, Atala… dit la femme du fumiste,c’est un ange !

– C’est que mon gros chat a peur d’être trouvé par ce Samanon,il se cache… et que je voudrais bien qu’il pût être libre…

– Et pourquoi ?

– Dame, il me mènerait à Bobino ! peut-être àl’Ambigu !

– Quelle ravissante créature ! dit la baronne en embrassantcette petite fille.

– Etes-vous riche ?… demanda Atala, qui jouait avec lesmanchettes de la baronne.

– Oui et non, répondit la baronne. Je suis riche pour les bonnespetites filles comme toi, quand elles veulent se laisser instruiredes devoirs du chrétien par un prêtre, et aller dans le bonchemin.

– Dans quel chemin ? dit Atala. Je vais bien sur mesjambes.

– Le chemin de la vertu !

Atala regarda la baronne d’un air matois et rieur.

– Vois madame, elle est heureuse depuis qu’elle est rentrée dansle sein de l’Eglise, dit la baronne en montrant la femme dufumiste. Tu t’es mariée comme les bêtes s’accouplent !

– Moi ? répondit Atala ; mais, si vous voulez medonner ce que me donne le père Vyder, je serai bien contente de nepas me marier. C’est une scie ! savez-vous ce quec’est ?…

– Une fois qu’on s’est unie à un homme, comme toi, reprit labaronne, la vertu veut qu’on lui soit fidèle.

– Jusqu’à ce qu’il meure ?… dit Atala d’un air fin. Je n’enaurai pas pour longtemps. Si vous saviez comme le père Vyder tousseet souffle !… Peuh ! peuh ! fit-elle en imitant levieillard.

– La vertu, la morale, veulent, reprit la baronne, que l’Eglise,qui représente Dieu, et la mairie, qui représente la loi,consacrent votre mariage. Vois madame, elle s’est mariéelégitimement…

– Est-ce que ça sera plus amusant ? demanda l’enfant.

– Tu seras plus heureuse, dit la baronne, car personne ne pourrate reprocher ce mariage. Tu plairas à Dieu ! Demande à madamesi elle s’est mariée sans avoir reçu le sacrement du mariage.

Atala regarda la femme du fumiste.

– Qu’a-t-elle de plus que moi ? demanda-t-elle. Je suisplus jolie qu’elle.

– Oui, mais je suis une honnête femme, objecta l’Italienne et,toi, l’on peut te donner un vilain nom…

– Comment veux-tu que Dieu te protège, si tu foules aux piedsles lois divines et humaines ? dit la baronne. Sais-tu queDieu tient en réserve un paradis pour ceux qui suivent lescommandements de son Eglise ?

– Quéqu’il y a dans le paradis ? Y a-t-il desspectacles ? dit Atala.

– Oh ! le paradis, c’est, dit la baronne, toutes lesjouissances que tu peux imaginer. Il est plein d’anges, dont lesailes sont blanches. On y voit Dieu dans sa gloire, on partage sapuissance, on est heureux à tout moment et dans l’éternité!…

Atala Judici écoutait la baronne comme elle eût écouté de lamusique ; et la voyant hors d’état de comprendre, Adelinepensa qu’il fallait prendre une autre voie en s’adressant auvieillard.

– Retourne chez toi, ma petite, et j’irai parler à ce M. Vyder.Est-il Français ?

– Il est Alsacien, madame ; mais il sera riche,allez ! Si vous vouliez payer ce qu’il doit à ce vilainSamanon, il vous rendrait votre argent ! car il aura dansquelques mois, dit-il, six mille francs de rente, et nous ironsalors vivre à la campagne, bien loin, dans les Vosges…

Ce mot les Vosges fit tomber la baronne dans une rêverieprofonde. Elle revit son village.

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