La Cousine Bette

Chapitre 119Le frère quêteur

Vers la fin du mois de mai, la pension du baron Hulot futentièrement dégagée par les payements que Victorin avaitsuccessivement faits au baron de Nucingen. Chacun sait que lessemestres des pensions ne sont acquittés que par la présentationd’un certificat de vie, et, comme on ignorait la demeure du baronHulot, les semestres frappés d’opposition au profit de Vauvinetrestaient accumulés au Trésor. Vauvinet ayant signé sa mainlevée,désormais il était indispensable de trouver le titulaire pourtoucher l’arriéré. La baronne avait, grâce aux soins du docteurBianchon, recouvré la santé. La bonne Josépha contribua par unelettre, dont l’orthographe trahissait la collaboration du ducd’Hérouville, à l’entier rétablissement d’Adeline. Voici ce que lacantatrice écrivit à la baronne, après quarante jours de recherchesactives :

« Madame la baronne,

M. Hulot vivait, il y a deux mois, rue des Bernardins, avecÉlodie Chardin, la repriseuse de dentelle, qui l’avait enlevé àMlle Bijou ; mais il est parti, laissant là tout ce qu’ilpossédait, sans dire un mot, sans qu’on puisse savoir où il estallé. Je ne me suis pas découragée, et j’ai mis à sa poursuite unhomme qui déjà croit l’avoir rencontré sur le boulevardBourdon.

La pauvre juive tiendra la promesse faite à la chrétienne. Quel’ange prie pour le démon ! c’est ce qui doit arriverquelquefois dans le ciel.

Je suis, avec un profond respect et pour toujours, votre humbleservante,

Josépha Mirah. »

Maître Hulot d’Ervy n’entendant plus parler de la terrible MmeNourrisson, voyant son beau-père marié, ayant reconquis sonbeau-frère revenu sous le toit de la famille, n’éprouvant aucunecontrariété de sa nouvelle belle-mère, et trouvant sa mère mieux dejour en jour, se laissait aller à ses travaux politiques etjudiciaires, emporté par le courant rapide de la vie parisienne, oùles heures comptent pour des journées. Chargé d’un rapport à laChambre des députés, il fut obligé, vers la fin de la session, depasser toute une nuit à travailler. Rentré dans son cabinet versneuf heures, il attendait que son valet de chambre apportât sesflambeaux garnis d’abat-jour, et il pensait à son père. Il sereprochait de laisser la cantatrice occupée de cette recherche, etil se proposait de voir à ce sujet le lendemain M. Chapuzot,lorsqu’il aperçut à sa fenêtre, dans la lueur du crépuscule, unesublime tête de vieillard, à crâne jaune bordé de cheveuxblancs.

– Dites, mon cher monsieur, qu’on laisse arriver jusqu’à vous unpauvre ermite venu du désert, et chargé de quêter pour lareconstruction d’un saint asile.

Cette vision, qui prenait une voix et qui rappela soudain àl’avocat une prophétie de l’horrible Nourrisson, le fittressaillir.

– Introduisez ce vieillard, dit-il à son valet de chambre.

– Il empestera le cabinet de monsieur, répondit le domestique,il porte une robe brune qu’il n’a pas renouvelée depuis son départde Syrie, et il n’a pas de chemise…

– Introduisez ce vieillard, répéta l’avocat.

Le vieillard entra. Victorin examina d’un oeil défiant cesoi-disant ermite en pèlerinage, et vit un superbe modèle de cesmoines napolitains dont les robes sont sœurs des guenilles dulazzarone, dont les sandales sont les haillons du cuir, comme lemoine est lui-même un haillon humain. C’était d’une vérité sicomplète, que, tout en gardant sa défiance, l’avocat se gourmandad’avoir cru aux sortilèges de Mme Nourrisson.

– Que me demandez-vous ?

– Ce que vous croirez devoir me donner.

Victorin prit cent sous à une pile d’écus et tendit la pièce àl’étranger.

– A compte de cinquante mille francs, c’est peu, dit le mendiantdu désert.

Cette phrase dissipa toutes les incertitudes de Victorin.

– Et le ciel a-t-il tenu ses promesses ? dit l’avocat enfronçant le sourcil.

– Le doute est une offense, mon fils ! répliqua lesolitaire. Si vous voulez ne payer qu’après les pompes funèbresaccomplies, vous êtes dans votre droit ; je reviendrai danshuit jours.

– Les pompes funèbres ! s’écria l’avocat en se levant.

– On a marché, dit le vieillard en se retirant, et les mortsvont vite à Paris !

Quand Hulot, qui baissa la tête, voulut répondre, l’agilevieillard avait disparu.

– Je n’y comprends pas un mot, se dit Hulot fils à lui-même.Mais, dans huit jours, je lui redemanderai mon père, si nous nel’avons pas trouvé. Où Mme Nourrisson (oui, elle se nomme ainsi)prend-elle de pareils acteurs ?

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