La Cousine Bette

Chapitre 124Un des cotés de la spéculation

Parmi les nombreuses et sublimes associations instituées par lacharité catholique dans Paris, il en est une, fondée par Mme de laChanterie, dont le but est de marier civilement et religieusementles gens du peuple qui se sont unis de bonne volonté. Leslégislateurs, qui tiennent beaucoup aux produits del’enregistrement, la bourgeoisie régnante, qui tient aux honorairesdu notariat, feignent d’ignorer que les trois quarts des gens dupeuple ne peuvent pas payer quinze francs pour leur contrat demariage. La chambre des notaires est au-dessous, en ceci, de lachambre des avoués de Paris. Les avoués de Paris, compagnie assezcalomniée, entreprennent gratuitement la poursuite des procès desindigents, tandis que les notaires n’ont pas encore décidé de fairegratis le contrats de mariage des pauvres gens. Quant au fisc, ilfaudrait remuer toute la machine gouvernementale pour obtenir qu’ilse relâchât de sa rigueur à cet égard. L’enregistrement est sourdet muet. L’Eglise, de son côté, perçoit des droits sur lesmariages. L’Eglise est, en France, excessivement fiscale ;elle se livre, dans la maison de Dieu, à d’ignobles trafics depetits bancs et de chaises dont s’indignent les étrangers,quoiqu’elle ne puisse avoir oublié la colère du Sauveur chassantles vendeurs du Temple. Si l’Eglise se relâche difficilement de sesdroits, il faut croire que ses droits, dits de fabrique,constituent aujourd’hui l’une de ses ressources, et la faute deséglises serait alors celle de l’Etat. La réunion de cescirconstances, par un temps où l’on s’inquiète beaucoup trop desnègres, des petits condamnés de la police correctionnelle pours’occuper des honnêtes gens qui souffrent, fait qu’un grand nombrede ménages honnêtes restent dans le concubinage, faute de trentefrancs, dernier prix auquel le notariat, l’enregistrement, lamairie et l’Eglise puissent unir deux Parisiens. L’institution deMme de la Chanterie, fondée pour remettre les pauvres ménages dansla voie religieuse et légale, est à la poursuite de ces couples,qu’elle trouve d’autant mieux, qu’elle les secourt comme indigentsavant de vérifier leur état incivil.

Lorsque Mme la baronne Hulot fut tout à fait rétablie, ellereprit ses occupations. Ce fut alors que la respectable Mme de laChanterie vint prier Adeline de joindre la légalisation desmariages naturels aux bonnes œuvres dont elle étaitl’intermédiaire.

Une des premières tentatives de la baronne en ce genre eu lieudans le quartier sinistre nommé autrefois la Petite-Pologne, et quecirconscrivent la rue du Rocher, la rue de la Pépinière et la ruede Miroménil. Il existe là comme une succursale du faubourgSaint-Marceau. Pour peindre ce quartier, il suffira de dire que lespropriétaires de certaines maisons habitées par des industrielssans industries, par de dangereux ferrailleurs, par des indigentslivrés à des métiers périlleux n’osent pas y réclamer leurs loyers,et ne trouvent pas d’huissiers qui veuillent expulser leslocataires insolvables. En ce moment, la spéculation, qui tend àchanger la face de ce coin de Paris et à bâtir l’espace en frichequi sépare la rue d’Amsterdam de la rue du Faubourg-du-Roule, enmodifiera sans doute la population, car la truelle est, à Paris,plus civilisatrice qu’on ne le pense ! En bâtissant de belleset d’élégantes maisons à concierge, les bordant de trottoirs et ypratiquant des boutiques, la spéculation écarte, par le prix duloyer, les gens sans aveu, les ménages sans mobilier et les mauvaislocataires. Ainsi les quartiers se débarrassent de ces populationssinistres et de ces bouges où la police ne met le pied que quand lajustice l’ordonne.

En juin 1844, l’aspect de la place de Laborde et de ses environsétait encore peu rassurant. Le fantassin élégant qui, de la rue dela Pépinière, remontait par hasard dans ces rues épouvantables,s’étonnait de voir l’aristocratie coudoyée là par une infimebohème. Dans ces quartiers, où végètent l’indigence ignorante et lamisère aux abois, florissent les derniers écrivains publics qui sevoient dans Paris. Là où vous voyez écrits ces deux mots : Ecrivainpublic, en grosse coulée, sur un papier blanc affiché à la vitre dequelque entresol ou d’un fangeux rez-de-chaussée, vous pouvezhardiment penser que le quartier recèle beaucoup de gens ignares,et partant des malheurs, des vices et des criminels. L’ignoranceest la mère de tous les crimes. Un crime est, avant tout, un manquede raisonnement.

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