La Cousine Bette

Chapitre 128Une reconnaissance

La baronne fut tirée de cette douloureuse méditation par lessalutations du fumiste, qui venait lui donner les preuves de saprospérité.

– Dans un an, madame, je pourrai vous rendre les sommes que vousnous avez prêtées, car c’est l’argent du bon Dieu, c’est celui despauvres et des malheureux ! Si je fais fortune, vous puiserezun jour dans notre bourse, je rendrai par vos mains aux autres lesecours que vous nous avez apporté.

– En ce moment, dit la baronne, je ne vous demande pas d’argent,je vous demande votre coopération à une bonne œuvre. Je viens devoir la petite Judici qui vit avec un vieillard, et je veux lesmarier religieusement, légalement.

– Ah ! le père Vyder, c’est un bien brave et digne homme,il est de bon conseil. Ce pauvre vieux s’est déjà fait des amisdans le quartier, depuis deux mois qu’il y est venu. Il me met mesmémoires au net. C’est un brave colonel, je crois, qui a bien servil’empereur… Ah ! comme il aime Napoléon ! Il est décoré,mais il ne porte jamais de décoration. Il attend qu’il se soitrefait, car il a des dettes, le pauvre cher homme !… Je croismême qu’il se cache, il est sous le coup des huissiers…

– Dites que je payerai ses dettes, s’il veut épouser lapetite…

– Ah bien, ce sera bientôt fait ! Tenez, madame, allons-y :c’est à deux pas, dans le passage du Soleil.

La baronne et le fumiste sortirent pour aller au passage duSoleil.

– Par ici, madame, dit le fumiste en montrant la rue de laPépinière.

Le passage du Soleil est, en effet, au commencement de la rue dela Pépinière et débouche rue du Rocher. Au milieu de ce passage, decréation récente et dont les boutiques sont d’un prix très modique,la baronne aperçut, au-dessus d’un vitrage garni de taffetas vert àune hauteur qui ne permettait pas aux passants de jeter des regardsindiscrets : Ecrivain public, et sur la porte :

Cabinet d’affaires

Ici l’on rédige les pétitions,

on met les mémoires au net, etc.

Discrétion, célérité.

L’intérieur ressemblait à ces bureaux de transit où les omnibusde Paris font attendre les places de correspondance aux voyageurs.Un escalier intérieur menait sans doute à l’appartement enentre-sol éclairé par la galerie et qui dépendait de la boutique.La baronne aperçut un bureau de bois blanc noirci, des cartons, etun ignoble fauteuil acheté d’occasion. Une casquette et unabat-jour en taffetas vert à fil d’archal tout crasseux annonçaientsoit des précautions prises pour se déguiser, soit une faiblessed’yeux assez concevable chez un vieillard.

– Il est là-haut, dit le fumiste, je vais monter le prévenir etle faire descendre.

La baronne baissa son voile et s’assit. Un pas pesant ébranla lepetit escalier de bois, et Adeline ne put retenir un cri perçant envoyant son mari, le baron Hulot, en veste grise tricotée, enpantalon de vieux molleton gris et en pantoufles.

– Que voulez-vous, madame ? dit Hulot galamment.

Adeline se leva, saisit Hulot, et lui dit d’une voix brisée parl’émotion :

– Enfin, je te retrouve !…

– Adeline !… s’écria le baron stupéfait, qui ferma la portede la boutique. – Joseph ! cria-t-il au fumiste, allez-vous-enpar l’allée.

– Mon ami, dit-elle, oubliant tout dans l’excès de sa joie, tupeux revenir au sein de ta famille, nous sommes riches ! tonfils a cent soixante mille francs de rente ! ta pension estlibre, tu as un arriéré de quinze mille francs à toucher sur tonsimple certificat de vie ! Valérie est morte en te léguanttrois cent mille francs. On a bien oublié ton nom, va ! tupeux rentrer dans le monde, et tu trouveras d’abord chez ton filsune fortune. Viens, notre bonheur sera complet. Voici bientôt troisans que je te cherche, et j’espérais si bien te rencontrer, que tuas un appartement tout prêt à te recevoir. Oh ! sors d’ici,sors de l’affreuse situation où je te vois !

– Je le veux bien, dit le baron étourdi ; mais pourrai-jeemmener la petite ?

– Hector, renonce à elle ! fais cela pour ton Adeline, quine t’a jamais demandé le moindre sacrifice ! Je te promets dedoter cette enfant, de la bien marier, de la faire instruire. Qu’ilsoit dit qu’une de celles qui t’ont rendu heureux soit heureuse, etne tombe plus ni dans le vice, ni dans la fange !

– C’est donc toi, reprit le baron avec un sourire, qui voulaisme marier ?… Reste un instant là, dit-il, je vais allerm’habiller là-haut, où j’ai dans une malle des vêtementsconvenables…

Quand Adeline fut seule, et qu’elle regarda de nouveau cetteaffreuse boutique, elle fondit en larmes.

– Il vivait là, se dit-elle, et nous sommes dansl’opulence !… Pauvre homme ! a-t-il été puni, lui quiétait l’élégance même !

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