Le Mariage de Loti

XXXIII

Le soir il y avait grand bal chez Pomaré, bald’adieu offert aux officiers du Rendeer. – Ondevait danser jusqu’à l’heure de l’appareillage, que« l’amiral à cheveux blancs » avait fixé pour le lever dujour.

Et Rarahu et moi, nous avions décidé d’yassister.

Il y avait énormément de monde à ce bal, pourun bal de Papeete ; toutes les Tahitiennes de la cour,quelques femmes européennes, tout ce qu’avait pu fournir lepersonnel de la colonie, et puis tous les officiers duRendeer, et tous les fonctionnaires français.

Rarahu naturellement n’était point admise dansle salon de la fête ; mais, pendant que la foule dansaitfiévreusement la upa-upa dans les jardins, elle etquelques autres jeunes femmes dans une situation semblable,privilégiées de la reine, avaient été invitées à prendre place sousla véranda, sur une banquette d’où elles pouvaient, tout aussi bienqu’à l’intérieur, voir et être vues. – Et avec lelaisser-aller tahitien, on trouvait tout naturel que je vinssesouvent m’accouder à la fenêtre, pour causer avec ma petiteamie.

En dansant je rencontrais constamment sonregard grave ; elle était éclairée comme une vision, par lalueur rouge des lampes, mêlée aux rayons bleus de la lune ; sarobe blanche et son collier de perles brillaient sur le fond sombredu dehors.

Vers minuit, la reine m’appela d’un signe.– On emportait sa petite-fille malade qui avait exigéqu’on l’habillât pour ce bal. –La petite Pomaré avaitvoulu me dire adieu avant de se laisser endormir.

Malgré tout, ce bal était triste ; lesofficiers du Rendeer, qui étaient en majorité, y jetaientune impression de départ et de séparation contre laquelle on nepouvait réagir. – Il y avait là de jeunes hommes, quiallaient dire adieu à leurs maîtresses, à leur vie de nonchalanceet de plaisir ; il y avait de vieux marins aussi, qui deux outrois fois dans le courant de leur existence étaient venus àTahiti, qui savaient que maintenant leur carrière était finie, etdont le cœur se serrait en songeant qu’ils ne reviendraientplus…

La princesse Ariitéa vint à moi, plus animéeque de coutume, et parlant plus vite :

– La reine vous prie, Loti, dit-elle,de vous mettre au piano ; de jouer la valse la plus bruyanteque vous pourrez, de la jouer très vite ; de la continuer sansinterruption par une autre danse, –et puis encore par unetroisième, – afin de ranimer un peu ce bal qui a l’air demourir.

Je jouai avec fièvre, en m’étourdissantmoi-même, tout ce que je trouvai au hasard sur le piano. –Je réussis pour une heure à ranimer le bal ; mais c’était uneanimation factice, – et je ne pouvais pas plus longtempsla soutenir.

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