XXII
Alors commença une nuit étrange, toute rempliede visions fantastiques et d’épouvante.
Les draperies d’écorce de mûrier voltigeaientautour de moi avec des frôlements d’ailes de chauves-souris, leterrible vent de la mer passait sur ma tête. Je tremblais de froidsous mon pareo. – Je sentais toutes les terreurs, toutesles angoisses des enfants abandonnés…
Où trouver en français des mots qui traduisentquelque chose de cette nuit polynésienne, de ces bruits désolés dela nature, – de ces grands bois sonores, de cette solitudedans l’immensité de cet océan, – de ces forêts remplies desifflements et de rumeurs étranges, peuplées de fantômes ;– les Toupapahous de la légende océanienne, courant dansles bois avec des cris lamentables, – des visages bleus,– des dents aiguës et de grandes chevelures…
Vers minuit, j’entendis au dehors un bruitdistinct de voix humaines qui me fit du bien ; et puis unemain prit doucement la mienne :
C’était Téharo qui venait voir si j’avaisencore la fièvre.
Je lui dis que j’avais aussi le délire parinstants, et d’étranges visions, – et le priai de resterprès de moi. Ces choses sont familières aux Maoris, et ne lesétonnent jamais.
Il garda ma main dans la sienne, et saprésence apporta du calme à mon imagination.
Il arriva aussi que, la fièvre suivant soncours, j’eus moins froid, – et finis par m’endormir.