XIX
Cependant la jeune fille qui avait été envoyéechez le chef du district arriva, – et je pus encore lire àcette dernière lueur du jour les quelques phrases tahitiennes quirétablissaient la vérité par des dates :
Ua fanau o Taamari i te Taïmaha,
Est né le Taamari de la Taïmaha,
I te mahana pae no Tiurai1864…
le jour cinq de juillet 1864…
Ua fanau o Atario i te Taïmaha.
Est né le Atario de la Taïmaha,
I te mahana piti no Aote 1865…
le jour deux de août 1865…
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Un grand effondrement venait de se faire, ungrand vide dans mon cœur, – et je ne voulais pas voir, jene voulais pas croire. – Chose étrange, je m’étais attachéà l’idée de cette famille tahitienne, – et ce vide qui sefaisait là me causait une douleur mystérieuse et profonde ;c’était quelque chose comme si mon frère perdu eût été plongé plusavant et pour jamais dans le néant ; tout ce qui était luis’enfonçait dans la nuit, c’était comme s’il fût mort une secondefois. – Et il semblait que ces îles fussent devenuessubitement désertes, – que tout le charme de l’Océanie fûtmort du même coup, et que rien ne m’attachât plus à ce pays.
– Es-tu bien sûr, disait d’une voixtremblante la mère de Taïmaha, – pauvre vieille femme àmoitié sauvage, – es-tu bien sûr, Loti, des choses que tuviens nous dire ?…
Je leur affirmai à tous ce mensonge.– Taïmaha avait fait ce que fait plus d’uneincompréhensible Tahitienne ; après le départ de Rouéri, elleavait pris un autre amant européen ; on ne voyage guère, entrele district de Matavéri et Papeete ; elle avait pu tromper samère, son frère et ses sœurs, en leur cachant pendant deux ans ledépart de celui auquel ils l’avaient confiée, – après quoielle était venue le pleurer à Moorea. – Elle l’avaitréellement pleuré pourtant, et peut-être n’avait-elle aimé quelui.
Le petit Taamari était encore près de moi, latête appuyée sur mes genoux. – La vieille Hapoto le tirarudement par le bras. – Elle se cacha la figure dans sesmains ridées et couvertes de tatouages ; un peu après, jel’entendis pleurer…