XXXIV
Il était nuit close quand le cortège bruyantfit son entrée dans Papeete, au milieu d’un grand concours depeuple.
Au bout d’un instant nous nous retrouvâmesmarchant côte à côte, Rarahu et moi, dans le sentier qui menait ànotre demeure. Un même sentiment nous avait ramenés tous deux surcette route, où nous avancions sans nous parler, comme deux enfantsboudeurs qui ne savent plus comment revenir l’un à l’autre.
Nous ouvrîmes notre porte, et quand nous fûmesentrés nous nous regardâmes…
J’attendais une scène, des reproches et deslarmes. Au lieu de tout cela, elle sourit en détournant la tête,avec un imperceptible mouvement d’épaules, une expressioninattendue de désenchantement, d’amère tristesse et d’ironie.
Ce sourire et ce mouvement en disaient autantqu’un bien long discours ; ils disaient d’une manière conciseet frappante à peu près ceci :
Je le savais bien, va, que je n’étais qu’unepetite créature inférieure, jouet de hasard que tu t’es donné. Pourvous autres, hommes blancs, c’est tout ce que nous pouvons être.Mais que gagnerais-je à me fâcher ? Je suis seule aumonde ; à toi ou à un autre, qu’importe ? J’étais tamaîtresse ; ici était notre demeure : je sais que tu medésires encore. Mon Dieu, je reste et me voilà !…
La petite fille naïve avait fait de terriblesprogrès dans la science des choses de la vie ; l’enfantsauvage était devenue plus forte que son maître et le dominait.
Je la regardais en silence, avec surprise ettristesse ; j’en avais une immense pitié. Et ce fut moi quidemandai grâce et pardon, pleurant presque et la couvrant debaisers.
Elle m’aimait encore, elle, comme on aimeraitun être surnaturel, que l’on pourrait à peine saisir etcomprendre.
Des jours doux et paisibles d’amoursuccédèrent encore à cette aventure d’Afareahitu ; l’incidentfut oublié, et le temps reprit son cours énervant…