Le Mariage de Loti

XXXIII

La traversée s’était effectuée par un beautemps calme.

C’était le soir, le soleil venait dedisparaître ; le frégate glissait sans bruit, en laissantderrière elles des ondulations lentes et molles qui s’en allaientmourir au loin sur une mer unie comme un miroir. De grands nuagessombres étaient plaqués çà et là dans le ciel, et tranchaientviolemment sur la teinte jaune pâle du soir, dans une étonnantetransparence de l’atmosphère.

A l’arrière du Rendeer, un groupe dejeunes femmes se détachait gracieusement sur la mer et sur lespaysages océaniens. C’était une groupe dont la vue me causa unétonnement extrême : Ariitéa et Rarahu, causant ensemble commedes amies ; auprès d’elles, Maramo, Faïmana et deux autressuivantes de la cour.

Il était question d’un himéné composépar Rarahu, et qu’elles allaient chanter ensemble.

En effet, elles entonnaient un chant nouveauen trois parties, Ariitéa, Rarahu et Maramo.

La voix de Rarahu, qui dominait vibrante,disait nettement ces paroles, dont aucune ne fut perdue pourmoi :

– « Heahaanoa iho (e) ! te tara no Paia (e)

– « Humble simplement même lesommet du Paia (le grand morne de Bora-Bora).

– i tou nei tai ia œ, tau hoa(e) ! ehaha !…

– auprès de ma ici douleur pour toi,ô mon amant ! hélas !…

– « Ua iriti hoi au (e) ! ite tumu no te tiare,

– « Ai arraché aussi moi lesracines du tiaré (la fleur des fêtes, c’est-à-dire :il n’y aura plus pour moi ni joie ni fête),

– ei faaite i tau tai ai œ, tau hoa(e) ! ehahe !…

– pour faire connaître ma douleurpour toi, ô mon amant ! hélas !

– « Un taa tau hoa (e) ! eiFarani te fenua,

– « Tu es parti, mon amant, pourde France la terre,

– e neva œ tomata, aita e hio hoi au (e) ! ehahe !… »

– tourneras en haut tes yeux, pasverrai de nouveau moi ! hélas !… »

Traduction grossière :

– « Ma douleur pour toi et plushaute que le sommet du Paia, ô mon amant ! hélas !…

– « J’ai arraché les racines dutiaré pour marquer ma douleur pour toi, ô mon amant !hélas !…

– « Tu es parti, mon bien-aimé,vers la terre de France ; tu lèveras tes yeux vers moi, maisje ne te verrai plus ! hélas !… »

Ce chant qui vibrait tristement le soir surl’immensité du Grand Océan, répété avec un rythme étrange par troisvoix de femmes, est resté à jamais gravé dans ma mémoire comme l’undes plus poignants souvenirs que m’ait laissés la Polynésie…

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