Le Mariage de Loti

XXIV

UN NUAGE

 

… La bande insouciante et paresseuse était aucomplet au bord du ruisseau d’Apiré, et Tétouara, qui était enveine d’esprit, versait sur nous tous, à demi endormis dans lesherbes, des facéties rabelaisiennes, – tout en se bourrantde cocos et d’oranges.

On n’entendait guère que sa voix de crécelle,mêlée aux bruissements de quelques cigales qui chantaient là leurchanson de midi, à l’heure même où, sur l’autre face de la boule dumonde, mes amis d’autrefois sortaient des théâtres de Paris,transis et emmitouflés, dans le brouillard glacial des nuitsd’hiver…

La nature était tranquille et énervée ;une brise tiède passait mollement sur la cime des arbres, et unefoule de petits ronds de soleil dansaient gaîment sur nous,multipliés à l’infini par le tamisage léger des goyaviers et desmimosas…

Nous vîmes s’avancer tout à coup une personnevêtue d’une tunique traînante en gaze vert d’eau, avec de longscheveux noirs soigneusement nattés, et, sur le front, une couronnede jasmin…

On voyait un peu, à travers la fine tunique,sa gorge pure de jeune fille que n’avait jamais contrariée aucuneentrave… On voyait aussi qu’elle avait roulé, autour de seshanches, un pareo somptueux, dont les grandes fleursblanches sur fond rouge transparaissaient sous la gaze légère…

Je n’avais jamais vu Rarahu si belle, ni seprenant autant au sérieux…

Un grand succès d’admiration avait salué sonentrée… Le fait est qu’elle était bien jolie ainsi, – etque sa coquetterie embarrassée la rendait encore pluscharmante…

Confuse et intimidée, elle était venu àmoi ; puis, sur l’herbe, elle s’était assise à mon côté, etrestait là immobile, les joues empourprées sous leur bistre, lesyeux baissés, comme une enfant coupable qui tremble qu’on nel’interroge et ne la confonde…

– Loti, tu fais très bien les choses,disait-on dans la galerie…

Et les jeunes femmes auxquelles mon étonnementn’avait point échappé, firent entendre dans les hautes herbes depetits éclats de rire contenus qui disaient une foule de méchanteschoses ; – Tétouara, fine et impitoyable, prononçasur la belle robe de gaze ces astucieuses paroles :

– Elle est faite d’une étoffechinoise !

Et les éclats de rire redoublèrent ;– il en partait de derrière tous les goyaviers, –il en sortait de l’eau du ruisseau ; il en venait de partout,– et la pauvre petite Rarahu était bien près de fondre enlarmes…

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