Le Mariage de Loti

XII

Un peu avant d’arriver sur les terres dudistrict de Papéuriri, nous nous arrêtâmes dans un village bizarreconstruit par des sauvages arrivés de la Mélanésie ; puis noustrouvâmes sur le chemin Téharo et Tiahoui qui venaient au-devant denous. Leur joie de nous rencontrer fut extrême et bruyante ;les grandes manifestations entre amis qui se retrouvent sont tout àfait dans le caractère tahitien.

Ces deux braves petits sauvages étaient encoredans le premier quartier de leur lune de miel, chose fort douce enOcéanie comme ailleurs ; bien gentils tous deux, – ethospitaliers dans la plus cordiale acception du terme.

Leur case était propre et soignée, classiqued’ailleurs, dans ses moindres détails. – Nous y trouvâmesun grand lit qui nous était préparé, recouvert de nattes blanches,et entouré de rideaux indigènes faits de l’écorce distendue etassouplie du mûrier à papier.

On nous fit grande fête à Papéuriri, et nous ypassâmes quelques journées délicieuses. Le soir par exemple c’étaittriste, et dans l’obscurité je sentais, quoi qu’on fît pour nouségayer, la solitude et la sauvagerie de ce recoin de la terre. Lanuit, quand on entendait au loin le son plaintif des flûtes deroseau, ou le bruit lugubre des trompes en coquillage, j’avaisconscience de l’effroyable distance de la patrie, et un sentimentinconnu me serrait le cœur.

Il y eut chez Tiahoui des repas magnifiques ennotre honneur, auxquels tout le village était convié : desmenus très particuliers, des petits cochons rôtis tout entiers sousl’herbe, – des fruits exquis au dessert, et puis desdanses, et de charmants chœurs d’himéné.

J’avais fait le voyage en costume tahitien,pieds et jambes nus, vêtu simplement de la chemise blanche et dupareo national. Rien n’empêchait qu’à certains moments je ne meprisse pour un indigène, et je me surprenais à souhaiter parfois enêtre réellement un ; j’enviais le tranquille bonheur de nosamis, Tiahoui et Téharo ; dans ce milieu qui était le sien,Rarahu se retrouvait plus elle-même, plus naturelle et pluscharmante ; – la petite fille gaie et rieuse duruisseau d’Apiré reparaissait avec toute sa naïveté délicieuse, etpour la première fois je songeais qu’il pourrait y avoir un charmesouverain à aller vivre avec elle comme avec une petite épouse,dans quelque district bien perdu, dans quelqu’une des îles les pluslointaines et les plus ignorées des domaines de Pomaré ;– à être oublié de tous et mort pour le monde ;– à la conserver là telle que je l’aimais, singulière etsauvage, avec tout ce qu’il y avait en elle de fraîcheur etd’ignorance.

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