Le Mariage de Loti

XXIV

C’était une nuit sans lune. –Cependant à la lueur diffuse des étoiles on distinguait nettementles forêts suspendues au-dessus de nos têtes, – et lestiges blanches des grands cocotiers penchés.

Nous avions pris sous l’impulsion du vent unevitesse imprudente, au moment de passer en pleine nuit la ceinturedes récifs ; les Maoris exprimaient tout bas leur frayeur, decourir ainsi par mauvais temps dans l’obscurité.

La pirogue, en effet, toucha plusieurs foissur le corail. Les redoutables rameaux blancs écorchèrent sa quilleavec un bruit sourd, mais ils se brisèrent, et nous passâmes.

Au large, la brise tomba ; –subitement le calme se fit. Ballottés par une houle énorme, dansune nuit profonde, nous n’avancions plus ; il fallutpagayer.

Cependant la fièvre était passée ;j’avais pu me lever, et prendre en main le gouvernail. –Je vis alors qu’une vieille femme était étendue au fond de lapirogue ; c’était Hapoto, qui nous avait suivis pour allerparler à Taïmaha.

Quand la mer se fut calmée comme le vent, lejour était près de paraître.

Nous aperçûmes bientôt les premières lueurs del’aube ; – et les hauts pics de Moorea, qui déjàs’éloignaient, prirent une légère teinte rose.

La vieille femme étendue à mes pieds étaitimmobile et semblait évanouie ; mais les Maoris respectaientce sommeil voisin de la mort, que lui avaient donné la fatigue etl’excès de la frayeur ; ils parlaient bas pour ne point latroubler.

Chacun de nous procéda sans bruit à satoilette, en se plongeant dans l’eau de la mer. – Aprèsquoi nous fîmes des cigarettes de pandanus en attendant lesoleil.

Le lever du jour fut calme et splendide ;tous les fantômes de la nuit s’étaient envolés ; jem’éveillais de ces rêves sinistres avec une intime sensation debien-être physique.

Et bientôt, quand j’aperçus Tahiti, Papeete,la case de la reine, celle de mon frère, au beau soleil dumatin ; – Moorea, non plus sombre et fantastique,mais baignée de lumière, je vis combien j’aimais encore ce pays,malgré ce vide qui venait de se faire pour moi, et ces liens dusang qui n’existaient plus ; – et je pris en courantle chemin de la chère petite case où Rarahu m’attendait…

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