Le Mariage de Loti

XXXIV

Vers trois heures du matin, quand le salon futvide, j’étais encore au piano, jouant je ne sais quels airsinsensés, accompagnés dans le lointain par la upa-upa quirâlait au dehors.

J’étais seul avec la vieille reine, qui étaitrestée pensive et immobile dans son grand fauteuil doré. –Elle avait l’air d’une idole incorrecte et sombre, parée avec unluxe encore sauvage.

Le salon de Pomaré avait cet aspect triste desfins de bal ; un grand désordre, une grande salle vide ;des bougies s’éteignant dans les torchères, tourmentées par le ventde la nuit.

La reine se leva péniblement, dans les plis desa robe de velours cramoisi. – Elle vit Rarahu qui setenait près de la porte, debout et silencieuse. – Ellecomprit et lui fit signe d’entrer.

Rarahu entra… timide, les yeux baissés, ets’approcha de la reine. – Apparaissant après ce bal, danscette salle déserte, dans ce silence, avec sa longue traîne demousseline blanche, ses pieds nus, ses longs cheveux flottants, sacouronne de gardénias blancs, – et ses yeux agrandis parles larmes, – elle avait l’air d’une willi, d’une visiondélicieuse de la nuit.

– Tu as à me parler, Loti, sansdoute ; tu veux me demander de veiller sur elle, dit lavieille reine avec bienveillance. Mais c’est elle, je le crains,qui ne le voudra pas…

– Madame, répondis-je, elle va partirdemain pour Papéuriri, demander l’hospitalité à Tiahoui son amie.– Là-bas comme ici, je vous supplie de ne pasl’abandonner. On ne la reverra plus à Papeete.

– Ah !… dit la reine, de sagrosse voix étonnée, et visiblement émue… C’est bien, cela, monenfant ; c’est bien… à Papeete tu aurais été bien vite unepetite fille perdue…

Nous pleurions tous les deux, ou pour mieuxdire, tous les trois : la vieille reine nous tenait les mains,et ses yeux d’ordinaire si durs se mouillaient de larmes.

– Eh bien, mon enfant, dit-elle, ilne faut pas différer ce départ. – Si tes préparatifs,comme je le pense, ne sont pas longs à faire, veux-tu partir cematin même, un peu après le soleil, vers sept heures, dans lavoiture qui emmènera ma belle-fille Moé ? Moé s’en va àAtimaono, prendre le navire qui doit la conduire dans sa possessionde Raïatéa. – Vous coucherez la nuit prochaine à Maraa, etdemain matin vous serez à Papéuriri, où, en passant, la voiture tedéposera.

Rarahu sourit à travers ses larmes, à cetteidée qui lui causait une joie d’enfant, de partir avec la jeunereine de Raïatéa.

Il y avait entre Rarahu et Moé une affinitémystérieuse ; – étrangement malheureuses toutes deux,et brisées, elles avaient le même caractère, les mêmes allures etle même genre de charme.

Rarahu répondit qu’elle serait prête.– La pauvre petite en effet n’avait guère à emporter quequelques robes de mousseline de diverses couleurs, – etson fidèle vieux chat gris…

Et nous prîmes congé de Pomaré, en serrantavec effusion et de tout notre cœur ses vieilles mains royales.– La princesse Ariitéa, qui avait reparu dans le salon,vint en tenue de bal nous accompagner jusqu’à la porte dujardin ; elle disait à Rarahu pour la consoler des chosesaussi douces que si elle eût été sa sœur… Et pour la dernière foisnous descendîmes à la plage…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer