Le Mariage de Loti

XLV

Les premières lueurs indécises du jour vinrentm’éveiller après quelques moments de sommeil.

Dans cette confusion, dans cette angoisseinexpliquée, qui est particulière au réveil, je retrouvai mêléesces idées : le départ, quitter l’île délicieuse, abandonnerpour toujours ma case sous les grands arbres, et ma pauvre petiteamie sauvage, – et puis, Taïmaha et ses fils, –ces nouveaux personnages à peine entrevus la nuit, et qui venaientencore, à la dernière heure, m’attacher à ce pays par des liensnouveaux…

La triste lueur blanche du matin filtrait parmes fenêtres ouvertes… Je contemplai un instant Rarahu endormie, etpuis je l’éveillai en l’embrassant :

– … Ah ! oui, Loti, dit-elle…c’est le jour, tu me réveilles, et il faut partir.

Rarahu fit sa toilette en pleurant ; ellepassa sa plus belle tunique ; elle mit sur sa tête sa couronnefanée et son tiaré de la veille, en faisant le serment quejusqu’à mon retour elle n’en aurait pas d’autres.

J’entr’ouvris la porte du jardin ; jejetai un coup d’œil d’adieu à nos arbres, à nos fouillis deplantes ; j’arrachai une branche de mimosas, une touffe depervenches roses, – et le chat nous suivit en miaulant,comme jadis il nous suivait au ruisseau d’Apiré…

Au jour naissant, ma petite épouse sauvage etmoi, en nous donnant la main, nous descendîmes tristement à laplage, pour la dernière fois.

Là, il y avait déjà assistance nombreuse etsilencieuse ; toutes les filles de la reine, toutes les jeunesfemmes de Papeete, auxquelles le Rendeer enlevait des amisou des amants, étaient assises à terre ; quelques-unespleuraient ; les autres, immobiles, nous regardaientvenir.

Rarahu s’assit au milieu d’elles sans verserune larme, –et le dernier canot du Rendeerm’emporta à bord…

Vers huit heures, le Rendeer leval’ancre au son du fifre.

Alors je vis Taïmaha, qui, elle aussi,descendait à la plage pour me voir partir, comme, douze ansauparavant, elle était venue, à dix-sept ans, voir partir Rouériqui ne revint plus.

Elle aperçut Rarahu et s’assit prèsd’elle.

C’était une belle matinée d’Océanie, tiède ettranquille ; il n’y avait pas un souffle dansl’atmosphère ; cependant des nuages lourds s’amoncelaient touten haut dans les montagnes ; ils formaient un grand dômed’obscurité, au-dessous duquel le soleil du matin éclairait enplein la plage d’Océanie, les cocotiers verts et les jeunes femmesen robes blanches.

L’heure du départ apportait son charme detristesse à ce grand tableau qui allait disparaître.

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