Le Mariage de Loti

V

FUNÈBRE

 

Notre absence avait duré juste un mois, lemois de mai 1872.

Il était nuit close, lorsque leRendeer revint mouiller sur rade de Papeete, le 1er juin,à huit heures du soir.

Quand je mis pied à terre dans l’îledélicieuse, une jeune femme qui semblait m’attendre, sous l’ombrenoire des bouraos, s’avança et dit :

– Loti, c’est toi ?… Net’inquiète pas de Rarahu ; elle t’attend à Apiré où elle m’achargée de te ramener près d’elle. Sa mère Huamahine est morte lasemaine passée ; son père Tahaapaïru est mort ce matin, etelle est restée auprès de lui avec les femmes d’Apiré pour laveillée funèbre.

« Nous t’attendions tous les jours,continua Tiahoui, et nous avions souvent les yeux fixés surl’horizon de la mer. Ce soir, au coucher du soleil, dès qu’unevoile blanche a paru au large, nous avons reconnu leRendeer ; nous l’avons ensuite vu entrer par la passede Tanoa, et c’est alors que je suis venue ici pour t’attendre.

Nous suivîmes la plage pour gagner lacampagne. Nous marchions vite, par des chemins détrempés ; ilétait tombé tout le jour une des dernières grandes pluies del’hivernage, et le vent chassait encore d’épais nuages noirs.

Tiahoui m’apprit en route qu’elle s’étaitmariée depuis quinze jours avec un jeune Tahitien nomméTéharo ; elle avait quitté le district d’Apiré pour habiteravec son mari celui de Papéuriri, situé à deux jours de marche dansle sud-ouest. Tiahoui n’était plus la petite fille rieuse et légèreque j’avais connue. Elle causait gravement, on la sentait plusfemme et plus posée.

Nous fûmes bientôt dans les bois. Le ruisseaude Fataoua, grossi comme un torrent, grondait sur lespierres ; le vent secouait les branches mouillées sur nostêtes, et nous couvrait de larges gouttes d’eau.

Une lumière apparut de loin, brillant sousbois, dans la case qui renfermait la cadavre de Tahaapaïru.

Cette case, qui avait abrité l’enfance de mapetite amie, était ovale, basse comme toutes les cases tahitiennes,et bâtie sur une estrade en gros galets noirs. Les murailles enétaient faites de branches minces de bourao, placées verticalementet laissant des vides entre elles, comme les barreaux d’une cage. Atravers, on distinguait des formes humaines immobiles, dont lalampe agitée par le vent déplaçait les ombres fantastiques.

Au moment où je franchissais le seuil funèbre,Tiahoui me repoussa brusquement à droite ; – jen’avais pas vu les deux grands pieds du mort qui débordaient àgauche sur la porte ; – j’avais failli les heurter,– un frisson me parcourut le corps, et je détournai latête pour ne les point voir.

Cinq ou six femmes étaient là, assises en rangle long du mur – et, au milieu d’elles, Rarahu fixant surla porte un regard anxieux et sombre…

Rarahu m’avait reconnu au seul bruit de monpas ; elle courut à moi et m’entraîna dehors…

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