Le Mariage de Loti

XXXVII

… Rarahu, dans un accès d’indignation, m’avaitappelé : long lézard sans pattes, – et jen’avais pas très bien compris tout d’abord…

Le serpent étant un animal tout à fait inconnuen Polynésie, la métis qui avait éduqué Rarahu, pour lui expliquersous quelle forme le diable avait tenté la première femme, avait eurecours à cette périphrase.

Rarahu s’était donc habituée à considérercette variété de « long lézard sans pattes » comme leplus méchante et la plus dangereuse de toutes les créaturesterrestres ; – c’était pour cela qu’elle m’avaitlancé cette insulte…

Elle était jalouse encore, la pauvre petiteRarahu : elle souffrait de ce que Loti ne voulait pasexclusivement lui appartenir.

Ces soirées de Papeete, ces plaisirs desautres jeunes femmes, auxquels ses vieux parents lui défendaient dese mêler, faisaient travailler son imagination d’enfant. –Il y avait surtout ces thés qui se donnaient chez les Chinois, etdont Tétouara lui rapportait des descriptions fantastiques, thésauxquels Téria, Faïmana et quelques autres folles filles de lasuite de la reine, buvaient et s’enivraient. – Lotiassistait, y présidait même quelquefois, et cela confondait lesidées de Rarahu, qui ne comprenait plus.

…Quand elle m’eut bien injurié, elle pleura,– argument beaucoup meilleur…

A partir de ce jour, on ne me vit guère plusaux soirées de Papeete. – Je demeurais plus tard dans lesbois d’Apiré, partageant même quelquefois le fruit del’arbre-à-pain avec le vieux Tahaapaïru. – La tombée de lanuit était triste, par exemple, dans cette solitude ;– mais cette tristesse avait son grand charme, et la voixde Rarahu avait un son délicieux le soir, sous la haute et sombrevoûte des arbres… – Je restais jusqu’à l’heure où lesvieillards faisaient leur prière, – prière dite dans unelangue bizarre et sauvage, mais qui était celle-là même que dansmon enfance on m’avait apprise. – « Notre pèrequi est aux cieux… », l’éternelle et sublime prière duChrist, résonnait d’une manière étrangement mystérieuse, là, auxantipodes du vieux monde, dans l’obscurité de ces bois, dans lesilence de ces nuits, dite par la voix lente et grave de cevieillard fantôme…

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