Le Mariage de Loti

XXI

… Quand l’obscurité fut venue, Rarahu eutpeur, cela va sans dire…

Le silence de cette nuit ne ressemblait à riende connu. Les brisants, bien loin sous nos pieds, ne s’entendaientplus ; pas même un léger craquement de branches, pas même unbruissement de feuilles ; l’atmosphère était immobile.– On ne peut trouver de silence semblable que dans cesrégions désertes, où les oiseaux mêmes n’habitent pas…

Il y avait toujours autour de nous dessilhouettes d’arbres et de fougères, tout comme si nous eussionsété en bas, dans des bois bien connus de Fataoua ; –mais on apercevait par échappées, à la lueur pâle qui tombait desétoiles, la vertigineuse concavité bleuâtre de l’Océan, et on étaitcomme en proie au sublime de l’isolement et de l’immensité.

Tahiti est un des rares pays où l’on puisseimpunément s’endormir dans les bois, sur un lit de feuilles morteset de fougères, avec un pareo pour couverture. – C’est làce que nous fîmes bientôt tous deux, –après avoirtoutefois choisi un lieu découvert, où aucune surprise ne fût àredouter de la part des Toupapahous… Encore, ces sombres rôdeurs dela nuit qui hantent de préférence les lieux où des êtres humainsont vécu, ne montent-ils guère aussi haut, dans les régions presquevierges où nous étions couchés…

Longtemps, je restai en contemplation du ciel.Des étoiles et des étoiles… Des myriades d’étoiles brillantes, dansl’étonnante profondeur bleue ; toutes les constellationsinvisibles à l’Europe, tournant lentement autour de laCroix-du-Sud…

… Rarahu contemplait, elle aussi, les yeuxgrands ouverts et sans rien dire ; tour à tour elle meregardait en souriant ou regardait en l’air… – Les grandesnébuleuses de l’hémisphère austral scintillaient comme des tachesde phosphore, laissant entre elles des espaces vides, de grandestrouées noires, où l’on n’apercevait plus aucune poussièrecosmique, –et qui donnaient à l’imagination une notionapocalyptique et terrifiante de l’immensité vide…

Tout à coup, nous vîmes une terrible massenoire qui descendait de l’Orœna et se dirigeait lentement versnous… – Elle avait des formes extraordinaires, des aspectsde cataclysme. – En un instant elle nous enveloppa d’uneobscurité si profonde, que nous cessâmes de nous voir. Une rafalepassa dans l’air, nous couvrant de feuilles et de branches mortes,– en même temps qu’une pluie torrentielle nous inondaitd’eau glacée…

A tâtons, nous rencontrâmes le tronc d’un grosarbre contre lequel nous nous mîmes à l’abri, bien serrés l’uncontre l’autre, – tremblant de froid tous deux, –et elle, de frayeur aussi un peu…

Quand cette grande ondée fut passée, le jourse leva, chassant devant lui les nuages et les fantômes. –En riant nous fîmes sécher nos vêtements au beau soleil, et, aprèsun très grand frugal repas tahitien, nous commençâmes àredescendre…

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