Le Mariage de Loti

VII

Quand nous fûmes confortablement assis au coindu feu, nous nous mîmes à causer de l’île délicieuse.

– Rarahu… dit-il avec un certainembarras, – oui, elle était, je crois, bien portante quandj’ai quitté le pays ; il est probable même que si j’avais priscongé d’elle, elle m’aurait donné des commissions pour vous.

« Comme vous le savez, elle avait quittéPapeete en même temps que vous-mêmes, et on disait dans lepays : Loti et Rarahu n’ont pas pu se séparer ; ils sontpartis ensemble pour l’Europe.

« Je savais seul qu’elle était chez sonamie Tiahoui, moi qui recevais de Papéuriri ses lettres, avec cetteaimable suscription : à Tatehau Oeil-de-rat, pour remettreà Loti.

« Lorsqu’elle reparut à Papeete, six ouhuit mois après, elle était plus jolie que jamais ; elle étaitplus femme aussi, et plus formée. – Sa grande tristesselui donnait un charme de plus ; elle avait la grâce d’uneélégie.

« Elle devint la maîtresse d’un jeuneofficier français, qui eut pour elle une passion qui n’était pasordinaire. – Il était jaloux même de votre souvenir. (Onl’appelait encore : la petite femme de Loti.)– Il lui avait fait le serment de l’emmener en France aveclui.

« Cela dura deux ou trois mois, pendantlesquels elle fut la plus élégante et la plus remarquée des femmesde Papeete.

« Au bout de ce temps-là, il se produisitchez la reine un événement depuis longtemps prévu : la petitePomaré V s’éteignit une belle nuit, – peu de jours aprèsune grande fête qu’on avait donnée pour la distraire, et dont elleavait elle-même arrêté le programme.

« La vieille reine, par parenthèse, futtellement accablée par cette dernière et suprême douleur, que sansdoute elle n’y survivra guère (1). Elle s’est retirée pour lemoment dans une case isolée, bâtie auprès du tombeau de sapetite-fille, et ne veut plus voir âme qui vive.

(1) La reine Pomaré est morte en 1877,laissant le trône à son second fils Ariiaue. Elle avait survécuenviron deux ans à sa petite-fille. – On peut considérer qu’à daterde ce jour commence la fin de Tahiti, au point de vue des coutumes,de la couleur locale, du charme et de l’étrangeté.

« Rarahu observa dans cette circonstancela même coutume que les suivantes de la cour ; en signe dedeuil, elle fit couper tout ras ses admirables cheveux noirs.

« La reine lui en sut gré, mais ce fut lesujet d’une querelle entre elle et son amant, – et commeelle ne l’aimait guère, elle profita de l’occasion pour lequitter.

« Je voudrais pouvoir vous dire qu’elleest retournée à Papéuriri auprès de son amie. – Mais,malheureusement, la pauvre petite est restée à Papeete, où je croisqu’elle mène aujourd’hui une vie absolument déréglée et folle.

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