XXIX
LE NUAGE CRÈVE
… Le lendemain Rarahu, la tête appuyée sur mesgenoux, pleurait à chaudes larmes…
Dans son cœur de pauvre petite croissant àl’aventure dans les bois, les notions du bien et du mal étaientrestées imparfaites ; on y trouvait une foule d’idées baroqueset incomplètes venues toutes seules à l’ombre des grands arbres. –Les sentiments frais et purs y dominaient pourtant, et il s’ymêlait aussi quelques données chrétiennes, puisées au hasard dansla Bible de ses vieux parents…
La coquetterie et la gourmandise l’avaientpoussée hors du droit chemin, mais j’étais sûr, absolument sûrqu’elle n’avait rien donné en échange de ces singuliers présents,et le mal pouvait encore se réparer par des larmes.
Elle comprenait que ce qu’elle avait faitétait fort mal ; elle comprenait surtout qu’elle m’avait causéde la peine, – et que John, le sérieux John, mon frère,détournerait d’elle ses yeux bleus…
Elle avait tout avoué, l’histoire de la robede gaze verte, l’histoire du pareo rouge. – Elle pleurait, lapauvre petite, de tout son cœur ; les sanglots oppressaient sapoitrine, – et Tiahoui pleurait aussi, de voir pleurer sonamie…
Ces larmes, les premières que Rarahu eûtversées de sa vie, produisirent entre nous le résultat qu’amènentsouvent les larmes, elles nous firent davantage nous aimer.– Dans le sentiment que j’éprouvais pour elle, le cœurprit une part plus large, et l’image d’Ariitéa s’effaça pour untemps…
L’étrange petite créature qui pleurait là surmes genoux, dans la solitude d’un bois d’Océanie, m’apparaissaitsous un aspect encore inconnu ; pour la première fois elle mesemblait quelqu’un, et je commençais à soupçonner la femmeadorable qu’elle eût pu devenir, si d’autres que ces deuxvieillards sauvages eussent pris soin de sa jeune tête…