Le Mariage de Loti

X

… Il avait été décidé que nous irions ensemblerendre une visite à Tiahoui, dans son district lointain, et Rarahudepuis longtemps s’était promis une grande joie de ce voyage.

Un beau matin, par la route de Faaa, nouspartîmes à pied tous deux, emportant sur l’épaule notre légerbagage de Tahitiens : une chemise blanche pour moi, deuxpareos, et une tapa de mousseline rose pour Rarahu…

On voyage dans cet heureux pays comme on eûtvoyagé aux temps de l’âge d’or, si les voyages eussent été inventésà cette époque reculée…

Il n’est besoin d’emporter avec soi ni armes,ni provisions, ni argent ; l’hospitalité vous est offertepartout, cordiale et gratuite, et dans toute l’île il n’existed’autres animaux dangereux que quelques colons européens ;encore sont-ils fort rares, et à peu près localisés dans la villede Papeete…

Notre première étape fut à Papara, où nousarrivâmes au coucher du soleil, après une journée de marche ;c’était l’heure où les pêcheurs indigènes revenaient du large dansleurs minces pirogues à balancier ; les femmes du district lesattendaient groupées sur la plage, et nous n’eûmes que l’embarrasde choisir pour accepter un gîte. L’une après l’autre, les pirogueseffilées abordaient sous les cocotiers ; les rameurs nusbattaient l’eau tranquille à grands coups de pagayes, et sonnaientbruyamment de leurs trompes en coquillage, comme des tritonsantiques ; cela était vivant et original, simple et primitifcomme une scène des premiers âges du monde…

Dès l’aube, le lendemain, nous nous remîmes enroute…

Le pays autour de nous devenait plus grandioseet plus sauvage. – Nous suivions sur le flanc de lamontagne un sentier unique, d’où la vue dominait toute l’immensitéde la mer ; – çà et là des îlots bas, couverts d’unevégétation invraisemblable ; des pandanus à la physionomieantédiluvienne ; des bois qu’on eût dit échappés de la périodeéteinte du Lias. – Un ciel lourd et plombé comme celui desâges détruits ; un soleil à demi voilé, promenant sur le GrandOcéan morne de pâles traînées d’argent…

De loin en loin nous rencontrions, les huttesovales aux toits de chaume, et les graves Tahitiens, accroupis,occupés à suivre dans un demi-sommeil leurs rêverieséternelles ; des vieillards tatoués, au regard de sphinx, àl’immobilité de statue ; je ne sais quoi d’étrange et desauvage qui jetait l’imagination dans des régions inconnues…

Destinée mystérieuse que celle de cespeuplades polynésiennes, qui semblent les restes oubliés des racesprimitives ; qui vivent là-bas d’immobilité et decontemplation, qui s’éteignent tout doucement au contact des racescivilisées, et qu’un siècle prochain trouvera probablementdisparues.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer