Le Mariage de Loti

XXXI

Vers deux heures nous eûmes terminé ces grandspréparatifs. Rarahu mit sa plus belle tapa de mousseline blanche,plaça des gardénias dans ses cheveux dénoués, – et noussortîmes de chez nous.

Je voulais avant de partir revoir une dernièrefois Faaa, les grands cocotiers et les grandes plages decorail ; je voulais jeter un coup d’œil dernier sur tous cespaysages tahitiens ; je voulais revoir Apiré, et me baignerencore avec ma petite amie dans le ruisseau de Fataoua ; jedésirais dire adieu à une foule d’amis indigènes ; je voulaisvoir tout et tout le monde, je ne pouvais prendre mon parti de toutquitter… Et l’heure passait, et nous ne savions plus auquelcourir…

Ceux-là seuls qui ont dû abandonner pourtoujours des lieux et des êtres chéris peuvent comprendre cetteagitation du départ, et cette tristesse inquiète, qui oppressecomme une souffrance physique…

Il était déjà tard quand nous arrivâmes àApiré, au ruisseau de Fataoua.

Mais tout était encore là comme dans le bonvieux temps ; au bord de l’eau, la société était nombreuse etchoisie ; il y avait toujours Tétouara la négresse, quitrônait au milieu de sa cour, et une foule de jeunes femmes quiplongeaient et nageaient comme des poissons, avec la plusinsouciante gaîté du monde.

Nous passâmes tous deux, nous donnant la maincomme autrefois, et disant doucement bonjour de droite et de gaucheà tous ces visages connus et amis. A notre approche les éclats derire avaient cessé ; la petite figure douce et profondémentsérieuse de Rarahu, sa robe blanche traînante comme celle d’unemariée, son regard triste avaient imposé le silence…

Les Tahitiens comprennent tous les sentimentsdu cœur et respectent la douleur. On savait que Rarahu était lapetite femme de Loti ; on savait que le sentiment quinous unissait n’était point une chose banale et ordinaire ;– on savait surtout qu’on nous voyait pour la dernièrefois.

Nous tournâmes à droite, par un étroit sentierbien connu. –A quelques pas plus loin, sous l’ombragetriste des goyaviers, était ce bassin plus isolé où s’était passéel’enfance de Rarahu, et qu’autrefois nous considérions un peu commenotre propriété particulière.

Nous trouvâmes là deux jeunes fillesinconnues, très belles, malgré la dureté farouche de leurstraits : elles étaient vêtues, l’une de rose, l’autre de verttendre ; leurs cheveux aussi noirs que la nuit étaient crêpéscomme ceux des femmes de Nuka-Hiva, dont elles avaient aussil’expression de sauvage ironie.

Assises sur des pierres, au milieu duruisseau, les pieds baignant dans l’eau vive, elles chantaientd’une voix rauque un air de l’archipel des Marquises.

Elles se sauvèrent en nous voyant paraître,et, comme nous l’avions désiré, nous restâmes seuls.

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