Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 11

 

On sait ce qui s’était passé.

Rocambole, redevenu le major Avatar, étaitentré au Club des Asperges , cherchant des yeux cemystérieux personnage qu’on appelait le major Hoff et qu’il sesouvenait avoir vu.

Mais le major n’y était pas.

En revanche, Rocambole avait assisté auxdernières phases de la querelle de Lucien avec le marquis deRouquerolles, consenti à servir de témoin au premier, et il étaitparti pour le bois de Boulogne.

Le marquis, nous l’avons dit, était tombéraide mort, l’épée de Lucien avait rencontré le cœur.

Mais Lucien s’était affaissé sur lui-même, envomissant une gorgée de sang.

Lucien paraissait dans un état désespéré.

Tandis que les témoins du marquis cherchaienten vain à rappeler ce dernier à la vie, Rocambole etM. de Vergis avaient pris Lucien dans leurs bras etl’avaient transporté dans le fiacre qui les avait amenés.

– Au pas ! dit Rocambole aucocher.

Puis se tournant versM. de Vergis.

– Nous allons chez lui, n’est-cepas ?

– Non, dit le jeune officier, chez moi,rue du Colysée…, c’est plus près.

Lucien respirait encore, et il n’avait pointperdu connaissance.

– Je crois que je suis frappé à mort,dit-il.

– Monsieur, lui répondit Rocambole avecémotion, on meurt tout de suite d’un coup d’épée… ou on n’en meurtpas… ne parlez point… et espérez…

M. de Vergis pleurait et tenait lesmains de son malheureux ami.

Le trajet fut long, car il était nécessaire,ainsi que l’avait recommandé Rocambole, d’aller au pas.

Il parut plus long encore à ce dernier.

Rocambole était sous le poids d’une émotionsubite, inattendue et presque inexplicable.

Ce jeune homme à qui il avait servi de témoin,par pure complaisance, qui lui était inconnu deux heuresauparavant, ce jeune homme qui peut-être allait mourir avant lelever du soleil, lui inspirait une vive sympathie.

Pourquoi ?

Le cœur humain est plein de ces mystères.

On arriva rue du Colysée.

M. de Vergis habitait un charmantpetit entresol dans un vieil hôtel, entre cour et jardin.

Son valet de chambre qui, sur son ordre, avaitattendu descendit en toute hâte apportant un fauteuil.

On y plaça le blessé.

Puis Rocambole et M. de Vergis leportèrent, montant lentement l’escalier, et s’arrêtant chaque foisque le sang s’échappait de la bouche de Lucien.

Enfin on arriva dans l’appartement et Lucienfut placé sur le lit de son ami.

M. de Vergis dit au valet :

– Prends le fiacre qui est resté à laporte et cours chercher le docteur P… qui demeure au coin de la rued’Angoulême.

Rocambole déshabilla le blessé.

Il était un peu chirurgien, comme on sait, etil avait vu et reçu tant de coups d’épée en sa vie, qu’il s’yconnaissait.

Avant l’arrivée du médecin qui se fit un peuattendre, du reste, Rocambole avait examiné la blessure et reconnuqu’elle n’était pas mortelle.

L’épée avait glissé sur une côte, opérant unelarge déchirure et provoquant une hémorragie violente, mais aucunorgane essentiel ne se trouvait lésé.

M. de Vergis attendait avec uneanxiété mortelle que Rocambole se prononçât.

Par contre, le blessé était calme.

– Monsieur, lui dit Rocambole, ou je metrompe fort, ou je puis vous prédire que vous serez sur pied avantun mois.

– Merci, dit Lucien, sur les lèvres dequi glissa un sourire de gratitude.

Le médecin arriva et confirma de tous pointsle diagnostic de Rocambole.

Ce dernier ne voulut point se retirer.

Nous l’avons dit, Lucien lui inspirait unesympathie mystérieuse.

Il s’arrangea dans un fauteuil pour passer lereste de la nuit au chevet du blessé.

Le médecin avait pareillement interdit aublessé de prononcer un mot.

Quant à M. de Vergis, il était tropl’ami de Lucien pour donner au major Avatar le moindrerenseignement sur les causes du duel.

Les bruits qui avaient couru sur la naissancede Lucien ne s’étaient déjà que trop propagés.

Le jeune officier se borna donc à dire àRocambole que son malheureux ami était sur le point de se marier,et qu’il ne savait comment annoncer cette fatale nouvelle à safiancée.

Le blessé s’était assoupi, après avoir euquelques minutes de fièvre.

– Savez-vous où demeure la jeune fillequ’il doit épouser ? demanda Rocambole.

– Oui.

– Eh bien ! vous me le direz, je mecharge de tout.

Le reste de la nuit s’écoula, le jour vint, etavec les premiers rayons de soleil, le blessé s’éveilla.

Rocambole était toujours à son chevet, leregardant et paraissant abîmé en une sorte de contemplation.

Lucien avait la pâleur morte d’une femme.

– À qui donc ressemble-t-il ?murmurait à part lui Rocambole. Je suis pourtant bien certain del’avoir vu hier pour la première fois… mais il a, avec quelqu’unque j’ai connu… homme ou femme… une ressemblance singulière.

Lucien, d’un sourire, le remercia de sasollicitude.

– Monsieur, lui dit Rocambole, vous avezpassé une bonne nuit, et je vous le répète, votre état n’inspireaucune inquiétude grave ; je puis donc me retirer, je viendraiprendre de vos nouvelles ce soir.

Et Rocambole s’en alla.

M. de Vergis l’accompagna jusquedans l’antichambre et lui donna l’adresse de Marie Berthoud.

La jeune fille et son père demeuraienttoujours rue de la Sourdière.

Seulement, lorsque Lucien les avait retrouvés,il avait voulu qu’ils descendissent au premier étage, où il leuravait meublé un appartement convenable.

– Puisque je me suis embarqué dans cetteaventure, murmura Rocambole, allons jusqu’au bout. Après, nous nousoccuperons des affaires de Gipsy et de miss Cécilia.

Et, au lieu de rentrer chez lui, il s’en allaà pied par les boulevards et la rue de Rivoli, fumant un cigare, etrespirant le grand air du matin.

Et, tout en marchant, Rocambole se répétaitcette question singulière :

– Mais à qui donc ressemble ce jeunehomme ?

Il arriva rue d’Alger, prit la rueSaint-Honoré qui n’était encore envahie que par les balayeurs, leshôtes ordinaires du matin, et il s’apprêtait à entrer rue de laSourdière, lorsque tout à coup il s’arrêta et éprouva même unesubite émotion.

Un homme entrait, comme lui, dans la rue de laSourdière, marchant avec lenteur et paraissant chercher unnuméro.

Cet homme, Rocambole le reconnutsur-le-champ.

C’était bien le personnage qu’au Club des Asperges on désignait sous le nom du majorHoff.

Rocambole l’avait vu autrefois, avant la fintragique du vicomte Karl de Morlux.

Que venait faire cet homme dans la rue de laSourdière à cette heure matinale ?

Il passa sans voir Rocambole, tant ilparaissait préoccupé.

Du reste, il portait à la main un petitpaquet, assez semblable à une boîte enveloppée dans du papier.

Rocambole le vit s’arrêter à la porte de lamaison du numéro 17.

C’était précisément la maison habitée par lafiancée de Lucien de Haas.

Il hésita un moment, puis s’engouffra dansl’allée humide et sombre de la maison.

Alors Rocambole traversa la rue et passarapidement devant la porte.

Le major Hoff causait avec la concierge et luidisait :

– N’est-ce pas ici que demeureMlle Marie Berthoud ?

– Oui, monsieur.

– Avec son père ?

– Précisément.

– Voilà pour elle, dit le major.

Et il posa le paquet sur la table de sa loge,tandis que Rocambole passait rapidement devant la porte.

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