Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 16

 

La rue de la Sourdière est rarement visitéepar le soleil.

Cependant vers midi, par les belles journées,quand tout Paris est inondé de lumière, un rayon du roi des astresse glisse parfois jusqu’à elle en ricochant sur les toitsvoisins.

De toutes les rues de Paris c’est peut-être laplus triste car la tristesse gît surtout dans le contraste.

Au milieu d’un quartier animé, bruyant, la ruede la Sourdière a l’air d’une voie de nécropole.

Il n’y passe pas dix voitures par jour.

Les piétons y sont tout aussi rares.

Un côté de la rue a des fenêtres grillées aurez-de-chaussée.

Le trottoir est absent presque partout.

Quelques misérables boutiques s’espacent çà etlà.

On y voit une ou deux maisons d’aspect honnêteet mélancolique comme des maisons d’une ville de province.

Or, c’était dans une de ces maisonsqu’habitait Mlle Marie Berthoud, la fiancée deLucien.

Elle vivait là, depuis plusieurs années, avecson vieux père, heureuse peut-être de ce silence et de cetisolement qui régnaient autour d’elle, lorsqu’elle avait retrouvél’ami de son enfance.

Les déshérités de ce monde aiment à vivre dansle recueillement.

Moins il leur vient du bruit du dehors, etmoins ils s’aperçoivent de leur infortune.

Lorsque Lucien les avait retrouvés, quand ilétait monté à ce cinquième étage où le père et la fille occupaientdeux pièces mansardées avec un carreau rouge pour parquet, son cœurs’était serré et des larmes lui étaient venues aux yeux.

– Vous ne resterez pas ici pluslongtemps, s’était-il écrié. Je vais vous chercher un joliappartement où vous demeurerez jusqu’à ce que nous soyonsmariés.

Mais Marie résista.

Elle tenait à son quartier, à cette chère rueoù elle avait passé de longues veilles et où, depuis plusieursannées, été comme hiver, on avait pu voir la lueur de la lampelaborieuse, bien après minuit, à travers les rideaux blancs de safenêtre.

Pour tout concilier, Lucien avait louél’appartement du premier étage qui venait d’être remis à neuf etétait assez grand.

Puis il l’avait meublé convenablement et lejour où le vieux professeur, tout ému, y fut installé, Lucien luidit : « Mon père, dans un mois je serai l’époux de Marie,et nous aurons un charmant petit hôtel à Neuilly ou à Auteuil, vousdemeurerez avec nous, et nous laisserons cette affreuse rue,n’est-ce pas ? »

C’est donc dans cet appartement du premierétage que nous allons pénétrer.

Il était midi.

Marie et son père avaient achevé leurdéjeuner.

Le vieillard s’était assis auprès de lafenêtre qui était ouverte, et il humait ce rayon de soleil uniquedont nous avons parlé et qui faisait, par les beaux jours, sonapparition vers midi.

Marie, dans la chambre voisine, achevait satoilette, une toilette bien simple et qui n’était certes pas celled’une jeune fille qui allait devenir la femme d’un homme aussiriche que Lucien.

Lucien était parti la veille au soir en disantà Marie :

– Demain, j’irai me promener auxTuileries à l’heure où vous y allez habituellement.

Si, par impossible, le temps était mauvais,s’il pleuvait, j’irais directement chez vous vers deux heures.

Mais comme le temps était beau, comme la jeunefille ignorait l’affreux événement de la nuit et que Rocambole quis’était chargé de le lui apprendre, avait ajourné ce péniblemessage, Marie faisait sa toilette avec empressement et songeaitqu’elle verrait Lucien deux heures plus tôt.

Marie était une grande et belle jeune fille,aux cheveux châtain clair, aux yeux bleus, au sourire mélancoliquesans tristesse.

Elle avait une main charmante, un petit pied,une taille bien prise.

Les privations et le travail de la jeunessen’avaient point altéré son caractère enjoué, mais elle avait perdula fraîcheur de son teint, devenu de cette pâleur mate etdistinguée dont s’enorgueillissent les Parisiennes de race.

Tandis qu’elle achevait sa toilette, lasonnette se fit entendre.

La femme de ménage alla ouvrir et la conciergeentra.

Elle tenait à la main cette petite caisse quele major Hoff avait placée le matin sur la table de la loge.

Marie accourut.

– Qui donc vous a remis cela ?demanda-t-elle.

– Un commissionnaire, qui s’en est alléen disant que sa course était payée.

Et la concierge, qui voulait honnêtementgagner les quarante francs du major Hoff, s’en alla sans donnerplus ample explication.

La veille, Lucien n’avait point apporté lesdiamants envoyés par cette mère mystérieuse qui veillait sur lui deloin et paraissait vouloir demeurer inconnue.

Il n’avait même pas parlé à sa fiancée de ceroyal cadeau et sa raison en était qu’il avait l’espoir deretrouver le major Hoff, de lui arracher son secret, de parvenirjusqu’à sa mère et de dire ensuite à Marie :

– Viens, allons nous jeter dans sesbras !

Marie ignorait donc que Lucien fût ou se crûtsur les traces de sa mère et, par conséquent, elle n’avait pointencore reçu les diamants qui lui étaient destinés.

Aussi fut-elle fort surprise de recevoir cetteboîte enveloppée dans du papier de soie.

Elle crut, cependant, que c’était un envoi deLucien.

Le coffret était en bois de sandal.

La clé du fermoir se trouvait attachée à unefaveur rose qui faisait le tour de la boîte.

Marie, toute tremblante d’émotion, prit cetteclé, la mit dans la serrure et ouvrit.

La boîte était pleine de dentelles d’un grandprix, mais dont la couleur un peu jaunie annonçaitl’ancienneté.

C’était, évidemment, ce qu’on appelle desdentelles de famille.

Une lettre qui portait pour inscription« À mademoiselle Marie Berthoud » était placéeen évidence dans un coin de la boîte.

L’écriture de cette adresse n’était pas cellede Lucien. Marie se prit à trembler plus fort :

– Père ! père ! appela-t-elle,viens donc voir !

Et tandis que le vieux professeur accourait,elle brisa d’une main fiévreuse le cachet de cire parfumée de lalettre. Elle était ainsi conçue :

 

« Ma fille,

« Permettez-moi de donner ce nom à cellequi va devenir l’ange tutélaire de mon fils bien-aimé.

« Je suis à Paris depuis quelques heuresseulement. Il y a trois jours encore, je n’espérais pas yvenir.

« Un homme dont je suis sûr s’étaitchargé pour mon fils d’une parure en diamants qui vous étaitdestinée.

« Mon fils vous l’a-t-il déjà offerte oula réserve-t-il pour sa corbeille de mariage ?

« Je l’ignore.

« Laissez-moi aujourd’hui, mon enfant,vous envoyer mes dentelles de jeune fille que je voudrais voir àvotre robe de mariée.

« Hélas ! je ne sais encore s’il mesera permis de lui ouvrir les bras, et cependant j’en ai le douxespoir.

« Mais, en attendant que cette espérancese réalise, je voudrais voir celle que mon fils a choisie.

« Mes informations m’apprennent que vousallez chaque jour vous promener aux Tuileries avec votre excellentpère.

« N’y manquez pas une seule fois, machère enfant ; peut-être aujourd’hui, peut-être demain, assisesur une chaise, un masque d’indifférence cruelle sur le visage,comprimant les battements de son cœur, la mère de votre Lucien vousverra passer. »

La lettre était signée :

ELLEN.

Marie, chancelante, tendit la lettre à sonpère et murmura :

– Ô mon Dieu ! pourvu que Lucien nemeure pas de joie !…

Puis elle sauta au cou du vieillard :

– Viens, père, dit-elle, viens, je suisprête !

Et le vieillard et la jeune fille sortirent,appuyés au bras l’un de l’autre.

Quand ils tournèrent l’angle de la rue de laSourdière, ils passèrent auprès d’un fiacre qui stationnait devantl’église Saint-Roch et n’y prirent garde.

Les stores en étaient baissés.

Mais, au moment où ils entraient dans la ruedu Dauphin pour gagner la grille des Tuileries, un des stores sesouleva un peu.

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