Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 24

 

Milady regardait Rocambole avec une sorte destupeur.

Cet homme voulait-il l’éprouver, etn’était-il, comme elle l’avait cru d’abord, que l’émissaire deAli-Remjeh ?

Elle l’espéra, elle le pensa un moment.

Mais Rocambole ne lui laissa pas longtempscette dernière illusion.

– Madame, dit-il, vous aviez une sœur,miss Anna.

– Ah ! fit milady, vous savez aussicela ?

– Je sais que vous l’avez faitétrangler.

– Ce n’est pas moi, c’est Ali.

– Ali-Remjeh ou vous, n’est-ce pas lamême chose ?

Milady courba la tête et ne répondit pas.

Rocambole reprit :

– Miss Anna a laissé une fille,Gipsy.

– Après ? dit milady d’une voixsifflante.

– C’est à cette fille que revientl’immense fortune volée à sa mère.

Mais milady se redressa, l’œil en feu,terrible, prête à tout :

– Cette fortune est à mon fils !dit-elle.

Rocambole se mit à rire.

– En êtes-vous bien sûre ?dit-il.

– Elle est à lui, répéta milady avecemportement, car je l’ai achetée au prix d’une vie de crimes et dedésespoir.

– Je vous attendais à cet aveu,madame…

Milady regarda son étrange interlocuteur.

– Monsieur, dit-elle froidement, je nesais pas deviner les énigmes.

– Je vais m’expliquer, continuaRocambole.

– Parlez…

– Votre fils est un galant homme. Il esthonnête, il est beau, il est brave… il mérite d’être heureux…

– Ô mon fils ! murmura milady avecun sentiment de tendresse orgueilleuse.

– Par cela même, continua Rocambole, ilest incapable de toucher à une fortune souillée.

– Monsieur !

– Si on venait dire à votre fils :la brillante éducation que vous avez reçue, le luxe qui vousentoure, la corbeille de mariage de votre fiancée même, tout celavous a été donné avec l’argent du crime, que pensez-vous qu’ilrépondrait ?

Milady poussa un cri sourd, se cacha la têtedans ses mains.

– Madame, poursuivit Rocambole,écoutez-moi sérieusement, car l’heure est solennelle… C’est unmarché que je viens vous offrir, et il faudra opter surl’heure.

De nouveau, elle leva les yeux sur lui etéprouva un sentiment d’angoisse suprême.

– Je sais toute votre histoire et j’aides preuves de vos crimes. Rien ne me serait plus facile que devous livrer demain à la justice anglaise. Cependant je ne le veuxfaire qu’à la dernière extrémité.

Milady retrouva un peu de cette énergiesauvage dont jadis miss Ellen Perkins avait donné tant depreuves.

– En vérité ! dit-elle froidement.Alors pourrai-je savoir qui me vaut cette extrême bienveillance devotre part ?

– Votre fils.

Ce mot frappa juste ; et il ébranlamilady qui commençait à se cuirasser contre le danger.

– Je serais sans pitié pour vous,continua Rocambole, si vous n’étiez la mère de Lucien.

– Alors vous ne me livrerezpas ?…

Et elle jeta autour d’elle un regard rapidecomme si elle eût songé à prendre la fuite.

Rocambole ne put réprimer unsourire :

– Oh ! rassurez-vous, madame, jen’ai nullement l’intention de vous retenir prisonnière. Seulement,vous auriez tort, peut-être, de sortir d’ici avant que nous noussoyons entendus.

Milady avait reconquis son sang-froid.

– Que voulez-vous donc ?fit-elle.

– Une femme comme vous, madame, douée decette énergie indomptable, habituée à dominer les situations lesplus difficiles, à renverser tous les obstacles, serait capable detenir tête à des juges, à tout nier, en dépit des preuves les plusaccablantes et de se faire l’attitude et le front d’un martyr.

La justice des hommes pourrait vouscondamner ; mais votre fils vous absoudrait. C’est là ce queje ne veux pas.

– Continuez, dit milady avec calme.

– Je veux vous donner un juge unique,votre fils.

Milady frissonna :

– Oh ! dit-elle, vous ne ferez pascela !

– Je le ferai, si vous ne restituez cettefortune volée.

– Dépouiller mon fils !

– Il le faut.

– Jamais ! dit-elle avec force.

– Écoutez-moi avec calme, madame. Votrepère, le commodore Perkins, a laissé une fortune immense. Cettefortune destinée à votre sœur, la malheureuse miss Anna, est toutentière en vos mains.

Milady haussa les épaules :

– Ce que vous dites là est possible,dit-elle, mais il est une circonstance que vous ignorezpeut-être.

– Voyons ?

– J’ai aliéné cette fortune.

– Je le sais.

– Et je l’ai si bien cachée que ni lajustice anglaise ni vous, ni même Ali-Remjeh, qui n’a jamais touchéque sa part de revenu, ne saurait la découvrir.

– C’est précisément parce que je saiscela, dit Rocambole, que j’ai songé à employer le moyen unique quivous puisse forcer à parler.

– Mon fils ! allez-vous direencore ? fit-elle avec un geste d’impatience.

– Votre fils qui vous méprisera ets’arrachera de vos bras à jamais, quand il saura vos crimes ;votre fils, acheva Rocambole, qui ne voudra peut-être pas survivreà sa honte et cherchera un refuge dans la mort.

Milady jeta un cri.

Mais sa faiblesse et son épouvante n’eurentque la durée d’un éclair.

– Et qui donc vous dit, fit-elle, que monfils vous croira ?

Un sourire passa sur les lèvres deRocambole.

– Je m’en charge, dit-il.

Puis, comme milady demeurait impassible.

– Madame, dit-il, la nuit s’avance, et jene veux pas avoir l’air de vous avoir tendu un piège. Des genscomme nous doivent lutter face à face, corps à corps, et se servirde toutes leurs armes.

– Vous m’avez parlé des vôtres, mais jene les crains pas, dit milady, vous pouvez tout dire à mon fils, ilne vous croira pas !

– Je vous donne jusqu’à demain, ditRocambole.

– Et si demain… je refuse ?…

– Demain votre fils vous méprisera, vousmaudira…

– Soit : à demain, dit milady.

Et elle se leva.

Rocambole tira le gland d’une sonnette etMilon parut.

– Va chercher une voiture pour milady,dit le Maître.

**

*

Un quart d’heure après milady s’éloignait, larage au cœur, mais prête à la lutte et ne voulant point restituerune fortune qu’elle destinait à son fils.

Et quand elle fut partie, Vanda entra dans lachambre où se trouvait Rocambole :

– Maître, dit-elle, je ne comprends pasce que tu veux faire.

– L’heure de la violence n’est pointvenue, dit Rocambole.

– Pourquoi ?

– Parce que milady est femme à se laissertraîner à l’échafaud avant de nous dire ce qu’elle a fait desmillions de la Bohémienne ; et ce sont les millions qu’il nousfaut, acheva froidement Rocambole.

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