Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 43

 

On lit dans le Journal duHavre :

« Le trois-mâts Marthe-et-Marie,capitaine Bondurand, venant de l’île de la Réunion et se rendant auHavre, avec un chargement de denrées coloniales, a recueilli par letravers de l’île de Sainte-Hélène une bouteille cachetée quicontenait les lignes suivantes :

« À bord du brick indien leSivah, naviguant sous pavillon britannique, capitaineAvatar.

Extrait de mon journal de bord, aujourd’hui 14juillet 186…, sept heures du soir.

Depuis quarante-huit heures les pompesfonctionnent sans relâche.

Le feu est à bord.

Il s’est déclaré dans la soute aux vivres etcouve lentement.

Le temps est calme, la mer ressemble à un lac.En vain toutes nos voiles dehors attendent une brisée folle.

Le vent est mort.

D’après mes calculs, nous sommes àquarante-cinq lieues de toute terre, par le travers du Sénégal.

Depuis hier matin, l’accalmie est complète. Lenavire ne marche plus.

Hier, à midi, nous avons eu un momentd’espérance.

Un navire passait au large, mais à unedistance telle qu’on ne pouvait apercevoir que ses perroquets.

J’ai fait tirer le canon de détresse.

Un instant, les perroquets ont grandi, lenavire a paru se rapprocher.

Puis il a filé sous le vent, et nous nel’avons pas revu.

Le feu, en dépit des pompes, continue sonœuvre de lente destruction.

Dans vingt-quatre heures au plus tard, il auraatteint la sainte-barbe.

Alors nous sauterons, et tout sera fini…

 

15juillet, six heures du matin.

Le découragement règne à bord.

Les pompes ne fonctionnent plus. L’équipage,brisé de fatigue, refuse tout travail.

Il attend la mort avec résignation.

Un peu de vent se joue dans nos hautesvoiles ; mais il arrive trop tard : le navire ne fait pasdeux lieues à l’heure, et nous sommes à quarante lieues de lacôte.

Une fumée noire sort de la cale ; le feuest tout près de la soute aux poudres.

D’un moment à l’autre, nous nous attendons àsauter !

Si ces lignes parviennent en Europe, ceux quiles liront sont priés de les publier dans les journaux.

Le nom du capitaine Avatar est peuconnu ; mais il éveillera peut-être quelques souvenirs àParis.

 

Même jour, midi.

Encore un espoir déçu.

Une voile a été signalée à l’horizon.

Nous avons hissé de nouveau le pavillon dedétresse.

La voile vient de disparaître, on ne nous apas vus.

J’ai fait mettre à la mer notre uniqueembarcation, le canot.

Nous avons perdu, il y a un mois, notrechaloupe dans un gros temps.

Le canot ne peut contenir que six personnes,et nous sommes dix-neuf à bord.

On a tiré les noms au sort, excepté le mienbien entendu.

Un capitaine doit rester le dernier à sonbord.

Les six hommes désignés viennent de descendredans l’embarcation.

Ils s’éloignent de nous en pleurant.

Arriveront-ils à terre ?

Dieu seul le sait !

 

Même jour, midi.

Le canot s’est éloigné, nous l’avons suivilongtemps des yeux.

Maintenant on ne le voit plus.

Le charpentier, qui est resté à bord, a vouludescendre une dernière fois dans la cale.

Il est remonté suffoqué.

À son estime le feu ronge les cloisons de lasainte-barbe.

Dans une heure tout sera fini.

Que la volonté de Dieus’accomplisse !

AVATAR, capitaine,

NOËL, second. »

**

*

Le Journal du Havre ajoute :

On disait hier, au café de l’Amirautéque le 15 juillet, le brick la Mouette, se trouvant à dixheures du soir, par le travers du Sénégal, a entendu une fortedétonation.

Pendant quelques minutes le ciel a paru touten feu.

Le capitaine de la Mouettedormait.

Mais le second, qui était de quart, en cemoment-là, a pensé que cette détonation pouvait bien être causéepar l’explosion d’un navire qui sautait.

Seulement, il lui a été impossible de préciserà quelle distance le sinistre avait dû avoir lieu.

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