Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 30

 

Rocambole avait suivi Milon, et Milon, grâce àsa force herculéenne, portait le baronnet sur ses épaules comme ileût fait du plus léger des fardeaux.

Un fiacre attendait de l’autre côté du mur etle cocher de ce fiacre n’était autre que Noël.

Sir James Nively était dans une léthargie sicomplète qu’un coup de canon ne l’eût pas réveillé.

Le fiacre gagna le Cours-la-Reine et suivitles quais, après avoir traversé la place de la Concorde.

Rocambole était monté à côté de Noël, et Milonse tenait dans l’intérieur de la voiture à côté de sir James qu’ilavait étendu tout de son long sur la banquette de devant.

Les quais de Paris, en hiver, sont presquedéserts vers dix heures du soir.

Rocambole avait pris ce chemin de préférenceaux boulevards qui sont très éclairés, et pour éviter la curiositéd’un agent de police quelconque, qui aurait pu jeter un regardfurtif à l’intérieur du fiacre et apercevoir un homme étendu etsans mouvement.

Arrivés à l’Hôtel de Ville, les ravisseursquittèrent les quais et prirent la rue Saint-Martin.

– Baisse les stores, dit Rocambole àMilon.

Celui-ci obéit, et Noël fouetta leschevaux.

Quelques ouvriers, quelques gamins, voyant unfiacre stores baissés, lâchèrent des lazzis et des plaisanteries demauvais goût.

Mais le fiacre continua sa route et arrivasans encombre rue du Vert-Bois, à la porte du fruitier, principallocataire de la maison.

La rue du Vert-Bois, le soir, est obscure, àpeine sillonnée par quelques rares passants, dont l’attention estordinairement concentrée par trois ou quatre belles de nuit qui sepromènent le long des maisons.

Le fruitier était prévenu sans doute.

Il se hâta d’accourir et ouvrit laportière.

Milon reprit sir James dans ses bras et, d’unbond, franchit le trottoir.

Il était dans la boutique avant que personneeût fait attention à lui.

La boutique était divisée en deuxpièces : le comptoir proprement dit, c’est-à-dire l’endroit oùl’on vendait des légumes, du laitage et des œufs ; et unepetite salle où l’on versait à boire aux consommateurs.

Milon, suivi de Rocambole, entra tout de suitedans cette deuxième pièce.

Le fruitier poussa la porte.

En même temps, sa femme, qui depuis longtempsdéjà avait posé les volets à la devanture, se hâta de poser labarre transversale qui servait de fermeture.

C’était dans la buvette, comme on nommait laseconde pièce de la boutique, que se trouvait l’entrée de lacave.

On soulevait une trappe, et un escalier depierre apparaissait alors aux regards.

Le fruitier s’arma d’une lanterne et prit untrousseau de clés.

Puis, il passa devant et s’engagea dansl’escalier.

Milon, portant le baronnet sur ses épaules, lesuivit.

Rocambole fermait la marche.

La cave de la maison était profonde, vaste, etse divisait en plusieurs caveaux.

Au bas de l’escalier commençait un corridorsur lequel s’ouvraient différents petits celliers, jadis destinésaux locataires de la maison et que le fruitier, depuis qu’il étaitprincipal locataire, avait gardés pour lui.

Il ouvrit la porte de l’un d’eux et Rocamboleet Milon se trouvèrent au seuil d’un caveau assez vaste, au milieuduquel il y avait une large dalle.

– Voilà, dit le fruitier.

En même temps, il posa sa lanterne à terre etalla prendre dans un coin du caveau un pic en fer qui s’y trouvaitcomme par hasard.

Puis il glissa la pointe du pic entre la dalleet la pierre de taille qui lui servait d’encadrement, exerça unepesée et la dalle se souleva.

Alors Rocambole aperçut un trou béant, assezsemblable à l’orifice d’un puits.

Le fruitier lui dit :

– Prenez la lanterne et regardez.

Rocambole se coucha à plat-ventre au bord dutrou, laissa pendre son bras armé de la lanterne et sonda du regardla profondeur de ce singulier puisard.

Il vit alors un trou d’une vingtaine de piedsde profondeur, dont les parois étaient en maçonnerie et quin’aboutissait à aucune ouverture.

Seulement en haut, à une dizaine de pieds dusol, à peu près, on apercevait une petite meurtrière destinée sansdoute à laisser pénétrer un peu d’air dans le réduit.

– Ah çà, dit Rocambole étonné, qu’est-ceque cela ?

– La cachette dont j’ai parlé à Noël.

– Oui, mais qui l’a creusée, et à quoiservait-elle ?

– Ma foi, répondit le fruitier, c’esttout une histoire, maître.

Quand j’ai pris la maison à bail, j’ai faitvisiter les caves par un architecte, il y avait ici un demi-pied desable, nous avons déblayé pour trouver le sol et cette dalle que jeviens de soulever nous est apparue alors.

Nous l’avons ôtée ; et l’architecte a eula fantaisie de se faire descendre dans ce trou avec une corde sousles reins.

Lorsqu’il est remonté, il m’a dit :

« Cette cachette a dû être creuséependant la première révolution et servir de refuge à des prêtres oudes émigrés.

« La preuve en est dans cette meurtrièrepar laquelle arrive un air humide et froid et qui doit communiqueravec les égouts voisins. »

– Bien, fit Rocambole d’un signe de tête,je comprends.

– C’est là que nous pouvons mettre cemonsieur, poursuivit le fruitier en montrant l’Anglais évanoui queMilon avait posé à terre comme un colis de marchandises.

Si vous voulez vous en débarrasser pourtoujours, la chose est facile. Avec un peu de plâtre nous allonsboucher la meurtrière et il périra étouffé, faute d’air.

– Non, dit Rocambole, je ne veux pas letuer.

– Alors nous laisserons la meurtrièreouverte, il aura de l’air. Pour combien de temps est-ilendormi ?

– Pour deux jours au moins.

– Faudra-t-il lui donner àmanger ?

– Certainement.

– Mais, observa Milon, quand il reviendraà lui, il se mettra à crier.

– C’est probable.

– N’entendra-t-on pas ses cris ?

– J’en réponds, dit le fruitier ; àmoins qu’on ne les entende des égouts… ce qui est à peu prèsimpossible, car les égouts de ce quartier sont trop petits pour queles égoutiers s’y promènent de gaîté de cœur.

– Et puis, dit Rocambole, dans deux joursnous pourrons peut-être lui rendre la liberté.

– Ah ! fit Milon, un peusurpris.

– Va chercher une corde, dit Rocambole aufruitier.

– Une corde ?

– Sans doute. Nous n’allons pas jeter cethomme dans le trou. Il pourrait se tuer en tombant, et je ne veuxpas de meurtre inutile.

Le fruitier remonta dans sa boutique, etrevint peu après avec une corde qu’il lia solidement sous les reinsde sir James.

Puis, aidé de Milon, et tandis que Rocamboletenait la lanterne pour les éclairer, il descendit dans le puits lebaronnet, toujours aussi inerte que s’il eût été privé de vie.

– Dans deux jours, dit alors Rocambole,nous verrons s’il a de l’appétit.

On replaça la dalle sur le puits.

Ensuite, le fruitier s’arma d’une pelle etrecouvrit la dalle d’une couche épaisse de sable.

– À présent, dit encore Rocambole,allons-nous-en !

Et se tournant vers Milon :

– Sir James ne nous gênera plusdésormais.

Ils remontèrent dans la boutique.

Le fiacre conduit par Noël attendait toujoursà la porte.

– Est-ce que je vous accompagne,maître ? demanda Milon.

– Non, pas maintenant.

– Alors, je vais rester ici ?

– Sans doute. N’as-tu pas une chambredans la maison ?

– Juste au-dessus de Marmouset.

– Eh bien ! va te coucher et demain,à neuf heures, sois exact au rendez-vous.

– À l’avenue Marignan ?

– Oui.

Rocambole passa par l’allée de la maison,regagna le fiacre et y monta.

– Mène-moi au Grand-Hôtel, dit-il àNoël.

Un quart d’heure après, le fiacre s’arrêtaitsur le boulevard des Capucines.

Mais Rocambole, au lieu d’entrer dans l’hôtel,pénétra dans le café.

Un homme et une femme assis à une tableprenaient le thé et causaient avec une telle animation que ni l’unni l’autre ne fit attention à Rocambole.

D’ailleurs Rocambole, qui changeait volontiersde costume et de physionomie, s’était affublé, ce soir-là, d’uneperruque blonde et ne ressemblait plus du tout au major Avatar.

Les deux personnages qui prenaient du thén’étaient autres que milady et le major Hoff, c’est-à-dire Franz,son vieux complice.

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