Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 25

 

Le major Hoff, c’est-à-dire Franz, étaitauprès de milady, au Grand-Hôtel, lorsqu’un commis de la maisonDavis-Humphry et Co apporta le billet de sir JamesNively.

Milady disait à Franz :

– À la fin je me révolte contre latyrannie d’Ali-Remjeh. Comment ! j’ai un fils, le sien ;ce fils est malade, ce fils est blessé, en danger de mort peut-êtreet je ne pourrais aller le voir !

– Milady, répondit Franz, vous savez quevotre fortune tout entière est le gage de votre soumission auxvolontés d’Ali-Remjeh, prenez garde !

– Eh bien ! dit-elle avecemportement, je serai pauvre, mais je verrai mon fils.

– Mais si vous devenez pauvre, votre filsle sera.

Ces mots calmèrent subitement l’emportement demilady.

– Ô misère, murmura-t-elle ; maispourquoi cet homme qui m’a abandonnée depuis plus de quinze ansveut-il donc que je ne voie pas mon fils ?

– Je crois le savoir, dit Franz.

– Toi ?

– Oui.

Mais comme le major faisait cette réponse, onapporta le billet.

Franz l’ouvrit.

– Tenez, milady, dit-il.

Et il le mit sous les yeux de la mère deLucien.

– Qu’est-ce que sir James Nively ?demanda milady avec un certain étonnement.

– C’est l’homme qui a remplacé à Londressir George Stowe, c’est-à-dire le mandataire d’Ali-Remjeh.

– Et cet homme est à Paris ?

– Apparemment, puisqu’il me demande unrendez-vous.

Et le major Hoff écrivit la lettre que nousavons vu décacheter par Vanda.

– Tu disais donc, reprit milady, que tusavais ?…

– Ah ! madame, dit Franz avecautorité, vous me donnerez bien jusqu’à demain.

– Pourquoi ?

– Pour m’expliquer. Peut-être maconversation avec sir James Nively rendra-t-elle, du reste, notreexplication inutile.

– Que veux-tu dire ?

– Que peut-être j’obtiendrai de lui quevous puissiez voir votre fils.

Milady se résigna ; et le soir, à l’heureindiquée, le major Hoff, couvert de décorations allemandes, serendit au Club des Asperges .

On s’y entretenait du duel de la veille et dela mort du marquis.

Le major Hoff ne put prêter qu’une oreilledistraite et indifférente à la conversation, bien qu’il éprouvâtune terrible émotion.

Plusieurs de ces messieurs, les mêmes qui, laveille, étaient demeurés muets, lorsque Lucien cherchait destémoins, s’étaient empressés d’aller le voir.

Tous s’accordaient à reconnaître que lablessure était sans gravité.

En outre, une réaction s’était faite en faveurde Lucien et M. le marquis de Rouquerolles était généralementblâmé.

Le baron de C…, un diplomate allemand, allamême jusqu’à dire :

– Après ça, messieurs, quand Lucienserait – et ceci est possible – le fils de quelque altessesérénissime ou royale que sa grandeur force à rester dans l’ombre,serait-il moins bon gentilhomme ?

Cette opinion avait rallié tout le monde et oncommençait à faire un éloge exagéré de Lucien, lorsqu’un deslaquais du club apporta une carte sur un plateau endisant :

– Pour M. le major Hoff.

C’était la carte de sir James Nively.

Franz quitta le fumoir et passa dans un petitsalon que d’un commun accord les membres du club avaient convertien parloir et dans lequel on avait coutume d’introduire lesétrangers.

Sir James Nively s’y trouvait.

Franz et lui se saluèrent.

Puis ils échangèrent le signe mystérieux del’affiliation indienne.

Alors sir James dit à Franz :

– Je suis porteur des volontésd’Ali-Remjeh.

– Qu’ordonne le maître ? demandaFranz avec respect.

– Il permet à milady de voir sonfils !

Franz eut un mouvement de joie.

Sir James continua :

– Le chef suprême des Étrangleurs est àla veille de résigner ses pouvoirs. Il a vingt-cinq années dedictature et les lois qui nous régissent exigent que chaque quartde siècle voie un nouveau maître.

– Eh bien ? demanda Franz.

– C’est à propos de la fortune de missEllen que je vous dis cela.

Franz tressaillit.

– Jusqu’à présent, poursuivit sir JamesNively, la moitié des revenus de cette immense fortune a étérégulièrement versée par l’intermédiaire d’Ali-Remjeh, dans lescaisses du trésor indien. Mais, en quittant le pouvoir, Ali-Remjehveut liquider.

– Comment l’entendez-vous ? demandale major Hoff.

– Ce n’est plus les revenus, c’est lecapital, dit-il, qu’il veut donner à l’association.

– Miss Ellen fera ce que veut Ali-Remjeh,répondit le major avec soumission.

– Enfin, dit sir James, je suis chargé detransmettre à miss Ellen une autre nouvelle.

– Parlez…

– Le pacte qui lie les fils de l’Inde,les Étrangleurs, comme nous appellent les Européens ignares, veutque le chef suprême demeure célibataire, quand il a le pouvoir enmains.

Franz tressaillit de nouveau.

– Ali-Remjeh n’a cessé d’aimer milady,poursuivit sir James Nively, et il aime le fils qu’il a à peineentrevu vagissant dans son berceau.

– Eh bien ?

– Ali-Remjeh revient en Europe et ilcompte épouser milady.

– Si milady y consent…

– Ceci est son affaire et non la mienne,dit froidement sir James… Cependant je dois vous dire unechose…

– J’écoute, dit Franz.

– Même après avoir payé cette moitié defortune aux Étrangleurs, moitié qui était le prix de leur concourset de la mort du commodore Perkins, miss Ellen peut encore avoirbesoin d’eux.

– Vous croyez ?

Et Franz eut une légère inflexion d’ironiedans la voix.

– Oui, car la bohémienne est pleine devie.

– Gipsy ?

– Oui, Gipsy, qui pourrait bien réclamerquelque jour la fortune de sa mère.

– Milord, dit Franz, je ne sais ce quemilady voudra faire et ne puis vous répondre à cet égard.Seulement, je vous ferai observer que vous et les vôtres, vous êteschargés de Gipsy.

– Malheureusement, elle nous échappe.

– Que voulez-vous dire ?

– Elle a quitté l’Angleterre.

– Ah !

– Elle est à Paris…

– Seule ?

– Non, avec un homme qui l’aime et laprotège, et qui pourrait bien devenir son vengeur.

Franz eut un éblouissement.

– Il faut la retrouver, dit-il avecvivacité, il faut qu’elle disparaisse à jamais… il faut qu’ellemeure !

– C’est pour cela, dit froidement sirJames Nively, que je suis venu vous trouver.

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