Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 6

 

Rocambole tressaillit en voyant NoraPitanchel, après avoir gravi le faubourg de Belleville tourner àgauche dans la rue des Moulins.

La rue des Moulins aboutit à la butteChaumont, et il y avait gros à parier que Nora allait prendre cechemin creux, suivi la nuit précédente par la voiture, et au boutduquel Timoléon avait fait mettre pied à terre à Vanda.

Rocambole ne se trompait pas.

Nora lui fit prendre cette route, et toustrois descendirent dans la plaine par ce sentier boueux et glissantdans lequel Vanda avait fait plusieurs faux pas.

La nuit était noire et pluvieuse, le ventviolent.

Mais Nora connaissait son vallon de Pantincomme sa poche.

Elle n’hésita pas une seconde en chemin, etconduisit Rocambole et Milon à l’hôtel du Dab.

C’était là que la rixe avait eu lieu, que Noraavait été rossée par Léon ; c’était là qu’elle espérait leretrouver et lui faire faire connaissance avec les poings vigoureuxde Rocambole et les épaules herculéennes de Milon.

Mais en entrant dans la carrière, Nora poussaun cri de désappointement.

Léon et Zélie avaient disparu.

Quand les voleurs et les vagabonds couchés surle four, virent paraître Nora flanquée de ses deux acolytes, ils semirent à rire.

– Tu as été racoler du monde, luidirent-ils, mais ça ne te servira pas à grand’chose. Léon estparti.

– Où est-il ? demanda Nora Pitanchelavec colère.

– Cherche-le, mais pas ici, il n’y estpas.

Et l’on se mit à rire de plus belle.

Rocambole se pencha à l’oreille de l’anciennefigurante et lui dit :

– Pour peu que tu y tiennes, mon ami etmoi nous allons tremper une soupe à ces messieurs ;mais je crois qu’il vaut mieux commencer par Léon.

– Tu as raison, mon homme, dit Nora. Tousces gens-là sont des lâches, qui ne valent pas le coup depoing : allons-nous-en !

– Bon voyage ! lui cria-t-on commeelle sortait de la carrière avec ses deux chevaliers.

Ils allèrent ainsi de l’hôtel du Dabà Mexico, et de Mexico à Sébastopol,c’est-à-dire à deux autres carrières qui avaient reçu ces nomspompeux.

Nulle part ils ne rencontrèrent Léon.

Rocambole observait tout, examinait tout,parlait quelquefois du Pâtissier, et comme il s’exprimait dans leplus pur argot des bagnes et des maisons centrales, personne nedoutait qu’il ne fût un ami, c’est-à-dire un voleur.

Aussi ne se cachait-on pas de lui ; et sion ne pouvait lui donner des nouvelles du Pâtissier, c’est quepersonne n’avait vu ce dernier.

La carrière où Timoléon avait conduit Vandaétait inconnue.

Milon et Rocambole passèrent tout près dufameux puits, ne se doutant point que celle qu’ils cherchaientétait à quelques centaines de pas sous terre.

La nuit s’écoula en recherchesinfructueuses.

Nora croyait poursuivre son amant infidèle etsa rivale préférée.

Rocambole, au contraire, ne pensait qu’àVanda.

Les premières lueurs de l’aube les surprirentdans la plaine de Pantin.

Cependant, cette nuit-là même, la Chivotte etle Pâtissier avaient apporté à manger à Vanda.

Mais la fatalité n’avait pas voulu qu’ilsrencontrassent Rocambole.

Ce dernier, voyant le jour, se pencha àl’oreille de Milon et lui dit :

– Il faut pourtant nous débarrasser decette femme.

– Comment ? demanda Milon.

– Nous allons voir…

Nora était harassée de fatigue.

Rocambole lui dit :

– Puisque Léon n’est pas à Pantin, c’estqu’il est resté dans Paris avec sa largue. Retournons à labarrière.

– Ça va, dit Nora Pitanchel.

– Nous le retrouverons bien sûr dansquelque bouchon de Belleville ou de la Villette.

– Allons, dit Nora qui ne tenait plus surses jambes.

On se remit en route et l’on descendit par lesButtes-Chaumont sur l’ancien boulevard extérieur.

– Si nous buvions un coup ? ditRocambole.

Et il fit entrer Nora et Milon chez unmarchand de vin qui venait d’ouvrir sa boutique.

Nora avait soif, elle avait faim.

Rocambole fit apporter du vin et du fromage,dans le cabinet unique de l’établissement.

Nora dévora et but à longs traits.

Après le vin, on passa à l’eau-de-vie.

Nora, au bout d’une heure, avait la tête silourde qu’elle s’appuya sur la table.

La fatigue acheva l’œuvre. Elles’endormit.

– Filons ! dit alors Rocambole.

Et tous deux sortirent sur la pointe du pied,laissèrent cent sous au comptoir et dirent qu’ils allaientrevenir.

**

*

Le reste de la journée fut employé parRocambole et Milon en recherches non moins infructueuses.

Après avoir repris leurs habits ordinaires,ils se rendirent aux Champs-Élysées.

Les domestiques du petit hôtel de l’avenueMarignan étaient dans la consternation.

Ils n’avaient vu revenir ni sir James Nively,ni Vanda.

Milon alla rue du Vert-Bois.

Le fruitier le prit à part et lui dit d’un airmystérieux :

– Il est venu, hier soir, une femme quis’appelle Zélie.

– Est-ce qu’elle a demandé aprèsmoi ?

– Non, dit le fruitier, mais elle voulaitvoir le petit.

– Qui ça, Marmouset ?

– Oui.

– Eh bien ?

– Je l’ai flanquée à la porte. C’est unede mes anciennes locataires. Je m’en méfie !

Milon rapporta ces paroles à Rocambole quil’attendait sur le boulevard Saint-Martin.

Rocambole lui dit :

– Tu vas t’installer rue du Vert-Bois.Cette femme reviendra sans doute. Tu lui parleras et si elle aquelque nouvelle du Pâtissier à nous donner, tu me l’amèneras rueSaint-Lazare en lui promettant tout l’argent qu’elle tedemandera.

Milon, fidèle à la consigne qu’il avait reçue,s’installa dans l’arrière-boutique du fruitier et attenditZélie.

Rocambole était retourné rue Saint-Lazare.

Il comptait beaucoup sur l’intelligence etl’audace de Vanda.

Vanda était morte ou prisonnière.

Dans le second cas, si épaisses que fussentles portes de la prison, si bien surveillée qu’elle fût, elletrouverait un moyen de faire parvenir à Rocambole un mot, unbillet, un renseignement quelconque.

Rocambole en était si convaincu qu’ils’enferma rue Saint-Lazare et attendit.

La journée s’écoula.

Milon ne revint pas. C’était une preuve queZélie n’avait pas reparu rue du Vert-Bois.

Puis la nuit vint, et une partie de la soirées’écoula.

Rocambole commençait à désespérer, lorsqu’ilentendit du bruit dans l’antichambre.

Le petit groom, l’ancien serviteur de milady àRochebrune barrait le passage à une sorte de mendiante avinée quiinsistait pour entrer.

Rocambole parut.

Cette mendiante, c’était Philippette.

Elle tenait à la main le papier sur lequelVanda avait tracé en russe ces quelques mots :

« Prisonnière… au pouvoir de Timoléon…suis la femme qui te porte ce billet… promis deux centslouis. »

– Enfin ! murmura Rocambole, qui neput contenir plus longtemps cette émotion terrible qui l’étreignaitdepuis trente-six heures.

Et il s’apprêta à suivre Philippette.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer