Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 7

 

Avant d’aller plus loin et pour la pluscomplète intelligence de notre récit, disons tout de suite commentle major Avatar s’était trouvé, à point nommé, au  Clubdes Asperges pour servir de témoin à M. Lucien deHaas.

Pour cela il faut nous reporter au moment où,se disant médecin, Rocambole était entré dans le château deRochebrune, sur les pas de Jacquot.

Jacquot s’était empressé de conduire Rocamboleauprès du vieux Bob mourant.

On avait couché l’intendant tout vêtu sur lemême lit qu’avait occupé milady pendant la nuit.

Son habit rouge, le masque de cire et leschaînes qui gisaient à terre, objet de l’étonnement de Jacquot, deMarianne la cuisinière et du valet de chambre Saturnin, lesquels nepouvaient comprendre pourquoi Bob s’était habillé ainsi, donnèrentau contraire à Rocambole, qui avait le récit de Vanda présent àl’esprit, le mot de l’énigme.

Bob était le spectre qui était apparu à Vandacroyant avoir affaire à milady.

La blessure de Bob s’expliquait tout aussinaturellement.

Milady avait découvert qu’elle étaitmystifiée, et la balle qui avait frappé le prétendu spectre avaitété dirigée par elle ou par le mystérieux compagnon que Jacquotavait vu partir avec elle le matin.

Dès lors Rocambole se dit :

– Cet homme qui jouait un pareil rôle etordonnait, au nom de la tombe, de restituer la fortune volée, estdemeuré fidèle aux héritiers spoliés, c’est-à-dire à Gipsy.

Cet homme me dira tout et je pourrai continuerson œuvre.

Rocambole avait observé tout cela en un clind’œil, et avant même que Bob eût tourné vers lui son œilmourant.

Il ne mentait d’ailleurs qu’à moitié en sedisant médecin, car il avait hérité d’une partie des connaissanceschirurgicales de sir Williams, son premier maître, et il savait, aubesoin, débrider une plaie et pratiquer une amputation.

Il examina le blessé, sonda le trou de laballe et demeura impassible.

– Est-ce qu’il mourra, monsieur ?demanda Jacquot.

– Je ne sais pas, répondit brusquementRocambole, mais il faut me donner les objets nécessaires à unpremier pansement.

Après nous verrons…

Bob avait repris connaissance, les dernièresparoles de Rocambole allumèrent un éclair d’espérance dans ses yeuxvitreux.

Était-ce l’amour instinctif de la vie qui seréveillait en ce moment ?

Était-ce un désir de vengeance ?

Peut-être l’un et l’autre, car il se prit àregarder Rocambole avec cette avidité anxieuse de l’homme quiattend sa destinée d’un mot.

Rocambole se fit apporter une aiguière d’eaufroide, lava la plaie, ouvrit une petite trousse de voyage qu’ilavait toujours sur lui et pratiqua l’extraction de la balle.

Puis, il appliqua un premier pansement et ditalors à Jacquot et aux autres domestiques :

– J’ai besoin d’être seul avec lemalade.

Tous trois sortirent.

Alors Rocambole alla fermer la porte au verrouet revint s’asseoir au chevet de Bob.

Bob balbutia quelques mots à peinearticulés.

– Je crois que je vais mourir,disait-il.

– Votre blessure est grave, ditRocambole, je n’affirmerais pas qu’elle ne fût pas mortelle, maisvous avez encore une heure ou deux à vivre, bien certainement.

L’œil de Bob continuait à rayonner.

Rocambole comprit qu’il fallait aller vite enbesogne et ne pas se laisser distancer par la mort.

Ce qu’il voulait, c’étaient des révélations,et, pour les obtenir, il fallait au plus vite gagner la confiancede Bob.

Aussi lui dit-il en anglais :

– Je vous apporte des nouvelles de Gipsyla bohémienne, monsieur Bob.

À ces mots résonnant dans sa languematernelle, à ce nom, retentissant tout à coup à son oreille, Bobse dressa, par un effort suprême, sur son séant et regardaRocambole d’un air effaré.

– Gipsy… balbutia-t-il, Gipsy !

– Oui, la nièce de miss Ellen.

– Miss Ellen ! continua Bobfrissonnant, qui parle de miss Ellen ?

– Moi.

– Qui donc êtes-vous ? murmura levieil intendant.

– Un homme qui veut, comme vous, forcerles voleurs à restituer.

– Ah ! vous connaissez doncGipsy ?

– Je l’ai sauvée, il y a quinze jours,des mains des Étrangleurs.

À ce mot d’Étrangleurs, Bob devintaffreusement pâle :

– Taisez-vous !… ne me parlez pasd’eux ! fit-il avec fureur.

Puis, il eut un accès de défiancesubite :

– Oh ! je ne vous crois pas,dit-il.

– Vous ne… me croyez pas ?…

– Non.

– Pourquoi ? demanda Rocambole avecdouceur.

– Parce que c’est milady qui vous envoie.Vous voulez savoir… vous ne saurez rien…

Rocambole prit la main du vieillard :

– Vous ne voulez donc pas que je continuevotre œuvre ? lui dit-il.

Bob secoua la tête :

– Milady et ses complices tiennent lemonde, dit-il. Franz est avec elle… Franz l’assassin !…

Il eut un éclat de rire sardonique etajouta :

– Le major Hoff, comme onl’appelle !

Ce nom tomba dans l’oreille de Rocambole pourn’en plus sortir.

– Monsieur Bob, dit encore Rocambole avecdouceur, vous me croyez donc un complice de milady ?

– Oui.

– Et si je vous prouvais lecontraire ?…

Bob le regarda avec un reste de défiance.Cependant une lueur d’espoir brilla dans son œil.

– Un homme et une femme ont passé la nuitici, avant-hier.

Bob tressaillit.

– Vous savez cela ? dit-il.

– C’est la femme qui m’a tout dit… etc’est pour cela que je suis venu…

Le regard de Bob cessa d’être défiant.

Mais il se fixa sur le visage hardi et résolude Rocambole, comme s’il eût voulu contrôler l’énergie et la forced’âme qu’il annonçait.

– Pourquoi vous intéressez-vous àGipsy ? demanda-t-il.

Rocambole comprit qu’il fallait faire unmensonge.

– Parce que je l’aime, murmura-t-il.

Ce mot détourna les dernières défiances deBob.

– Je vous crois, dit-il, mais aurez-vousla force de lutter contre milady ?

– Oui.

L’accent de Rocambole était résolu. Son œilbrillait d’une énergie sombre et continue.

Bob avait foi en lui.

– Je vais mourir, murmura-t-il, et jen’aurais pas le temps de parler… mais j’ai écrit… toute l’histoirede miss Ellen…

– Où est-elle ?

– Dans une chambre… là-haut… sous ladalle du foyer…

La voix du mourant s’éteignait ; sonregard s’obscurcissait. Le délire était proche…

Rocambole courut à un cordon de sonnette qu’ilsecoua violemment.

Jacquot parut.

– Tu vas me conduire dans la chambre oùcouchait M. Bob, dit Rocambole au petit groom.

Bob rouvrit les yeux et son regard se fixantsur Jacquot confirma l’ordre que Rocambole donnait.

– Venez, monsieur le médecin, réponditJacquot.

Rocambole le suivit.

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