Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 10

 

La corde à laquelle il s’était suspendu, sedétachant tout à coup, et avant qu’il n’eût touché le sol,Rocambole était tombé d’une hauteur de quinze ou vingt pieds.

Mais le sol de la carrière était humide etoffrait une espèce d’élasticité qui amortit sa chute.

Le cri qui lui échappa, et qui monta vibreraux oreilles de Timoléon, était moins un cri de douleur qu’un crid’effroi.

Si brave que soit un homme, et en fait debravoure, Rocambole avait fait ses preuves, il ne se laisse paschoir dans un abîme inconnu et au milieu d’une obscurité profondesans un premier mouvement d’épouvante.

Au cri qu’il avait poussé, un autre cri avaitrépondu, celui de Vanda.

Mais Rocambole laissa tout aussitôt échapperun juron formidable et ajouta :

– La vieille sorcière, il faut qu’elleait détaché la corde.

– Mon Dieu ! dit Vanda, n’es-tu pasblessé, au moins ?

– Je ne crois pas, mais je suis étourdiet moulu.

Et au milieu de ces ténèbres opaques,Rocambole se prit à se tâter et à se palper par tout le corps, puisfit jouer ses membres l’un après l’autre afin de s’assurer qu’iln’avait rien de fracturé.

Il tenait debout sur ses pieds et se mit àfaire quelques pas.

Déjà Vanda lui avait jeté ses deux bras autourdu cou.

– Enfin ! disait-elle, enfin !te voilà !…

– Me voilà prisonnier comme toi, ditRocambole, on m’a tendu un piège et j’y suis tombé comme unniais.

Et, acheva-t-il avec un éclat de rire, il y ades gens qui croient en moi !

Un homme aussi intelligent que Rocambole nepouvait pas se tromper une minute sur l’accident dont il venaitd’être victime.

Cet accident était préparé ; et c’étaitune trahison.

– Nous avons été roulés, murmura-t-il,maintenant, il faut voir à nous tirer d’affaire.

Et il fouilla dans ses poches et en retira uneboîte d’allumettes bougies.

Un danger qu’on peut voir est à moitiéconjuré.

Quand l’allumette eut brillé, Rocamboleexamina à sa lueur le lieu où il était.

Il vit au-dessus de lui, à trente pieds dehaut, un trou rond.

C’était le trou qu’il avait fait lui-même,comme s’il eût voulu creuser son tombeau.

La carrière affectait assez correctement laforme d’une cloche et le trou par lequel Rocambole était tombé setrouvait juste au milieu de cette espèce de coupole.

Quant à la corde, elle s’était arrondie à sespieds.

Remonter vers ce trou était impossible :un chat, mais non un homme, y serait peut-être parvenu.

Les yeux de Rocambole tombèrent sur la portequi fermait le couloir du puits.

Mais Rocambole, ce jour-là, avait fait toutesles imprudences.

Son pic était demeuré au haut de lacrevasse.

Il n’avait d’autre engin pour enfoncer cetteporte que deux ou trois pierres qui s’étaient détachées de la voûtequ’il avait effondrée.

Mais il avait sur-le-champ retrouvé sonmerveilleux sang-froid, et il dit à Vanda :

– Nous sommes ensemble, c’est beaucoup.Sortir d’ici n’est plus rien.

– Ce misérable Timoléon, murmura Vanda,il ne t’a pas attiré ici sans avoir pris toutes sesprécautions.

– Je suis armé, répondit Rocambole, nousverrons bien.

Mais, auparavant, ajouta-t-il en laissantéchapper l’allumette qui commençait à lui brûler les doigts,auparavant, il faut y voir clair.

Il reprit sa boîte d’allumettes et la donna àVanda.

– Tu m’éclaireras, dit-il.

Les allumettes qu’on appelle des bougiesbrûlent environ deux ou trois minutes.

Vanda avait parfaitement comprisRocambole.

Une seconde allumette prit feu, et Rocambole,à sa lueur, étudia de nouveau la configuration de la carrière.

Dès lors, il fut fixé.

Tous ses efforts devaient se concentrer sur laporte.

Il la tâta, comme on dit, en se ruant sur elleet en lui donnant un vigoureux coup d’épaule.

La porte ne bougea pas.

Il recommença et ne parvint qu’à semeurtrir.

Alors, à la clarté d’une troisième allumette,il s’empara de la plus grosse pierre et en fit une sorte demerlin.

Puis il se rua de nouveau sur la porte,espérant toujours l’enfoncer.

Malheureusement c’était une pierre tendre quecelle dont il se servait, une pierre à plâtre, comme on dit.

Au lieu d’entamer la porte, elle s’entamaelle-même et se fendit en trois morceaux.

Le bloc de roche était devenu poussière, et laporte résistait toujours.

Rocambole prit une seconde pierre qui,bientôt, eut le même sort.

Mais soudain Vanda lui mit la main surl’épaule :

– Tais-toi, dit-elle.

– Qu’est-ce ? fit Rocambolefrémissant.

– N’entends-tu pas ?

– Un bruit… là… derrière…

Et elle laissa tomber l’allumette d’une main,après avoir montré la porte de l’autre.

Le silence et l’obscurité se firent de nouveaudans la carrière.

Rocambole, prêtant l’oreille, entendit, eneffet, derrière la porte, un bruit sourd qui allaitgrandissant.

C’était le bruit d’une scie.

Et il mit la main sur l’un de ses pistolets,disant à Vanda :

– Place-toi derrière moi et ne bougeonspas.

La scie allait son train.

Tout à coup, derrière la porte, une lueur sefit. On avait allumé soit une lampe, soit une torche.

En même temps, la scie à main traversa laporte et se mit à travailler régulièrement, perçant un trou d’unecirconférence parfaite.

Rocambole colla ses lèvres à l’oreille deVanda.

– Qui sait ? dit-il, c’est peut-êtreMilon qui m’aura suivi malgré ma défense et qui travaille à nousdélivrer.

Vanda ne répondit rien.

À mesure que la scie marchait, la lumière quibrillait de l’autre côté de la porte grandissait.

Tout à coup le panneau scié se détacha…

C’est-à-dire qu’il se fit dans la porte unebrèche de la largeur d’une assiette, et en même temps, un flot delumière frappa Rocambole et Vanda au visage.

En même temps aussi, une voix railleuses’écria :

– Allons, Rocambole, je crois que nousallons faire notre dernière partie, et que tu as perdud’avance.

Et le trou pratiqué dans la porte encadra uneseconde le visage lumineux et grimaçant de Timoléon.

– Pas encore ! répondit Rocambole,qui allongea vivement sa main armée de l’un de ses pistolets, etfit feu !…

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