Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 39

 

Tout en allumant son rat-de-cave, Timoléon letenait devant sa poitrine de façon à en projeter toute la lueurdevant lui et à laisser dans l’ombre le bas de l’escalier.

À défaut de sa mémoire, si elle eût eu parhasard un moment d’indécision, les pas des garçons de Bercy et dufruitier, largement imprimés sur le sol du corridor souterrain,l’eussent guidé pour trouver la porte de la cave particulière dufruitier.

Quand il fut devant cette porte, Timoléontendit son rat-de-cave au Pâtissier :

– Tiens ça, dit-il.

Puis il fouilla dans sa poche,ajoutant :

– Si nous devions filer, après avoir faitle coup, je ferais sauter la serrure ; mais comme nous devonsrester dans la maison où j’ai affaire pour deux ou troisjours encore, il s’agit de ne pas nous vendre.

Il prit son trousseau de clefs.

Puis, avec une patience d’ange, et tandis quele Pâtissier tenait son rat-de-cave auprès de la serrure, Timoléonessaya l’une après l’autre ses fausses clés.

Enfin l’une entra et tourna dans laserrure.

Le pêne glissa sans bruit, la portes’ouvrit.

Timoléon retira la clé du côté extérieur et lapassa à l’intérieur.

– On ne prend jamais trop de précautions,dit-il.

Et poussant le Pâtissier dans la cave dufruitier, il referma la porte sur lui.

La cave, comme on a pu le voir quand Rocamboleet Milon avaient descendu sir James évanoui, était divisée enplusieurs compartiments et caveaux.

Timoléon n’avait pas de souliers.

Mais il avait mis ses chaussons qui nedevaient laisser qu’une empreinte indécise.

D’ailleurs, les garçons de Bercy avaientpiétiné le sol assez pour confondre toutes les traces.

Mais Timoléon avait vu, dans la soirée,l’empreinte de la bottine auprès d’une petite porte qui était celled’un autre caveau.

C’était là que, selon lui, devait être enfermél’Anglais.

Il s’arrêta une fois encore et prêtal’oreille.

Comme il était arrivé trop tard, la veille,pour faire avorter l’enlèvement du baronnet, il y avait une choseque Timoléon ne savait pas, – c’est que sir James était sous lapuissance d’un narcotique.

Or, il croyait qu’on s’était contenté de legarrotter et de le bâillonner pour l’empêcher de crier.

Mais si serré que soit un bâillon, il laissecependant passer quelques gémissements étouffés.

C’était pour cela que Timoléon s’arrêtait etprêtait l’oreille.

Timoléon n’entendit rien.

– L’auraient-ils tué ? sedit-il.

Et il sentit quelques gouttes de sueur perlerà son front.

Le Pâtissier tenait toujours lerat-de-cave.

Timoléon reprit son trousseau de clés, etcomme il avait attaqué la première porte, il attaqua laseconde.

Celle-là encore céda.

Mais, ô surprise !

Timoléon se trouvait au seuil d’un caveaucomplètement vide.

Où donc était sir James ?

Un moment, croyant s’être trompé, Timoléonsongea à revenir sur ses pas.

Mais l’empreinte de la fameuse botte et celledu large pied ferré le frappaient, car elles se continuaient dansce second caveau.

Timoléon en fit le tour, frappant de son poingfermé sur le mur, avec l’espoir de découvrir quelque cachette,quelque cavité mystérieuse.

Partout le mur rendit un son mat et plein.

Alors Timoléon regarda à ses pieds.

Il lui sembla que le sol qu’il foulaits’affaissait légèrement et n’avait point été tassé aussi durementque celui du caveau précédent.

Quand il se fut baissé et qu’il l’eut labouréavec ses doigts, il s’aperçut que ce sol était friable et qu’ilavait été récemment remué.

Alors Timoléon fut fixé.

Il s’accroupit et se faisant une pelle de sesdeux mains, il se mit à déblayer le milieu du caveau, au grandétonnement du Pâtissier.

Bientôt les ongles glissèrent sur une surfacedure et graveleuse.

Timoléon reconnut une pierre.

En même temps, levant les yeux, il aperçutdans un coin du caveau cette pince dont le fruitier s’était servila nuit précédente.

Le reste n’était qu’un jeu.

Timoléon mit à découvert la pierre quirecouvrait l’oubliette.

Puis il s’empara du levier et l’introduisitdans la fente.

La pierre se souleva et mit le trou du puits àdécouvert.

– Ils sont rudement malins ! murmuraTimoléon, faisant allusion à Rocambole et à ses complices.

Le Pâtissier s’était agenouillé au bord dutrou et plongeait son rat-de-cave à l’intérieur du puits.

Au fond, on apercevait un corps accroupi dansune parfaite immobilité.

– Ils l’ont tué ! murmura lePâtissier.

Les cheveux de Timoléon se hérissèrent.

Mais il ne perdit pas courage :

– Bah ! qui sait ? dit-il.

Et s’emparant du paquet de cordes qu’il avaitapporté, il se mit à l’enrouler autour du corps du Pâtissier.

– Que faites-vous ? ditcelui-ci.

– Tu vas voir. Arc-boutes-toi bien surtes pieds.

En même temps, Timoléon saisit l’autre bout dela corde et se laissa glisser dans le puits.

En touchant le sol, il toucha le corps de sirJames.

Le corps ne bougea pas.

Timoléon le toucha. Ce corps était froid.

– Rocambole m’aurait-il donc volé mavengeance ? se dit-il avec un redoublement d’émotion.

Mais Timoléon ne perdait jamais la tête.

– Voyons ? se dit-il, si Rocamboleavait tué sir James, il l’aurait laissé sur place et ne se seraitpas donné tant de mal pour l’apporter ici.

En même temps, il leva les yeux.

Il vit à distance égale du fond du puits et deson orifice une espèce de lucarne.

C’était la meurtrière ouverte sur l’égout.

– Bon ! dit-il, s’il y a de l’airc’est pour qu’il vive !

Et soudain un souvenir traversa sa pensée.

Il se rappela comment autrefois, Rocamboleavait fait sortir Antoinette de Saint-Lazare, et il songea que sirJames avait sans doute, par les soins de Vanda, pris une goutte dece narcotique si puissant qu’il arrivait à la paralysie complète età la suspension de tous les organes vitaux.

Dès lors, il ne s’agissait plus pour Timoléonque de s’assurer que sa supposition était fondée.

Il se procura du feu en frottant une autreallumette, puis, la tenant d’une main, il se mit à entr’ouvrir leslèvres de sir James.

Le prétendu mort avait les gencives rouges.C’était bon signe.

– Nous examinerons cela plus en détail,là-haut ! se dit-il.

Il jeta l’allumette. Puis, prenant la cordequi lui avait servi à descendre dans le puits, il la passa sous lesaisselles du baronnet et la noua solidement.

Ensuite il dit à mi-voix au Pâtissier penchésur le puits :

– Tiens-toi bien ! je vaisremonter !

En même temps, il saisit la corde à un mètreau-dessus du corps de sir James et se hissa hors du puits.

– Il est mort, n’est-ce pas ? dit lePâtissier.

– Je ne sais pas.

– C’est facile à voir.

– Je ne sais pas, répéta Timoléon.

Puis il prit la corde à deux mains et ditencore :

– Aide-moi, nous allons le remonter.

Un homme inanimé, disent des gens du peuple,est plus lourd qu’un autre.

Cela est-il vrai ? nous n’oserionsl’affirmer.

Toujours est-il que le Pâtissier et Timoléoneurent de la peine à retirer sir James hors du puits.

Timoléon le coucha de tout son long dans lecaveau.

– Il est mort, répétait le Pâtissier.

Et se penchant sur lui, il posa sa main sur lecœur du baronnet.

Le cœur ne battait pas, la poitrine étaitaussi froide que le visage.

Timoléon se prit à soulever les quatre membresl’un après l’autre.

Ils pliaient aux jointures et n’avaient pointcette rigidité qui s’empare du corps quelques heures après letrépas.

Cependant il y avait vingt-quatre heures quesir James était dans ce cul de basse fosse.

– Non, il n’est pas mort, ditTimoléon.

– Oh ! fit le Pâtissier, il estfroid.

– Ça ne fait rien…

– Pourtant…

Timoléon le regarda d’un air de pitié…

– On voit bien, dit-il, que tu ne connaispas Rocambole !

Et le Pâtissier ne put se défendre, à cesmots, d’un léger frisson.

Rocambole jouait donc avec la mort ?

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