Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 20

 

Sir James et Rocambole avaient échangé entreeux ce regard de deux adversaires qui vont croiser le fer etengager une lutte suprême.

– Milord, dit Rocambole, vous avez dûsouffrir beaucoup ces jours-ci et je vous en fais toutes mesexcuses, mais les gens que j’ai à mon service sont grossiers etmanquent d’éducation.

Ils ne savent pas garrotter un homme sans luimeurtrir les poignets ; ils savent moins encore engager unelutte avec lui et le terrasser sans déchirer ses vêtements.

Sir James écoutait avec un sang-froid toutbritannique.

Rocambole poursuivit :

– Comme notre conversation peut êtrelongue et que certainement vous devez avoir faim, permettez-moi devous faire servir à souper.

Il secoua un gland de sonnette et peu après laporte s’ouvrit.

Milon et Noël reparurent.

Seulement, ils avaient revêtu une belle livréerouge et or, une vraie livrée de gentleman anglais qui vient enFrance avec toute sa maison.

Ils roulaient devant eux une table touteservie.

Un pâté du Périgord, une volaille froide, duvieux vin de Médoc, une gerbe de flacons deMme Amphoux, composaient ce souper improvisé.

– Milord, dit encore Rocambole, vousdevez avoir besoin de changer de linge et de vêtements, votrecabinet de toilette est là et on n’a point touché à votregarde-robe, ne vous gênez pas…

En même temps, il s’assit au coin du feu quipétillait et flambait sous l’influence d’un temps sec et froid.

Sir James remercia d’un geste et accepta avecempressement.

Le cabinet de toilette attenant à la chambre àcoucher était une petite pièce carrée prenant jour sur le jardinpar une fenêtre.

Il se trouvait un bahut dans lequel sir Jamesse souvenait d’avoir serré, en prenant possession de l’hôtel, unepaire de ces jolis revolvers à six coups du colonel Hoff que jamaisles arquebusiers français ne parviendront à imiter. Ce souveniravait traversé l’esprit de sir James avec la rapidité del’éclair.

Mais son visage ne manifesta aucune émotion etil répondit avec son flegme habituel :

– Je vous remercie mille fois, de votrecourtoisie, monsieur, et j’accepte votre offre… car je suisvraiment mal à l’aise dans mes vêtements déchirés et mon linge quin’a pas été renouvelé depuis plusieurs jours.

– Faites, dit Rocambole d’un signe.

Sir James poussa la porte du cabinet detoilette avec une indifférence parfaite et la referma sur lui avecla même lenteur.

Il avait pris un flambeau sur la cheminée dela chambre et l’avait posé sur la large tablette de marbre quifaisait vis-à-vis au bahut.

Celui qui eût vu sir James en ce moment n’eûtpas soupçonné que l’espérance d’une évasion l’envahissait toutentier.

En effet, il revint vers la porte qu’il avaitfermée, et tenant d’une main un pot à eau dont il vida bruyammentle contenu dans la cuvette il poussa de l’autre le verrou de sûretéde la porte, qu’il fallait désormais enfoncer pour pénétrer dans lecabinet de toilette.

Cette pièce était dans l’état où sir Jamesl’avait laissée, et rien n’indiquait qu’on y eût pénétré.

Le bahut qui renfermait les revolvers étaitfermé.

Sir James avait l’habitude d’en mettre la clésous le socle d’un petit vase de Chine posé sur une étagère.

Il souleva le socle et trouva la clé.

Dès lors il pouvait compter sur sesrevolvers.

En outre, la fenêtre dont les rideaux étaienttirés donnait, nous l’avons dit, sur le jardin.

Sir James eut bientôt arrêté son pland’évasion.

Essayer de passer sur le corps de Rocamboleétait folie. Il pouvait bien le tuer d’un coup de revolver, maisMilon accourrait, et Noël ensuite ; et bien qu’il eût la viede douze hommes dans ses mains, une telle mousqueterie nemettrait-elle pas tout le quartier en émoi ?

L’évasion par la fenêtre était une chose plussimple et ses revolvers ne devaient servir qu’à protéger safuite.

Sir James ouvrit donc le bahut, y plongea lesmains, et rencontra ses revolvers qui étaient cachés sous une pilede mouchoirs.

Il les mit dans sa poche et courut à lafenêtre.

Mais là, une surprise désagréablel’attendait.

Quand il eut tiré les rideaux, il s’aperçutqu’on avait posé à la fenêtre des volets intérieurs assezsemblables à ces rideaux de tôle qui descendent le soir, devant lescafés, à l’aide d’une roue d’engrenage, et qui forment la plussolide et la plus inattaquable des fermetures.

Sir James eût en vain usé ses ongles sur cettesurface polie.

Il fallait donc, s’il voulait sortir, sortirpar la porte et s’ouvrir un passage les armes à la main.

Sir James n’hésita pas.

Il tira sa toilette, changea de linge ets’habilla avec ce rigorisme qui caractérise les Anglais de hautevie.

Les deux revolvers étaient dans sespoches.

Quand il eut fini, il fit courir le verroudans sa gâche et ouvrit la porte.

Rocambole, assis au coin du feu, fumaittranquillement une cigarette espagnole, un papelitos, comme ondit.

Milon, une serviette sous le bras, se tenaitdebout devant la table.

– Tu peux aller te coucher, lui ditRocambole. Milord et moi nous avons à causer assez longuement.

Milon fit un pas vers la porte.

– Dis à Noël d’en faire autant, ajoutaRocambole.

Sir James tressaillit d’aise.

– À table, milord, dit encore celui queMilon appelait le maître.

– Il paraît, pensa sir James ens’asseyant, que la fenêtre murée n’est pas la seule précautionqu’on ait prise.

Et il faisait cette réflexion en jouant avecun des couteaux de table.

Ils étaient ronds par le bout, à lamed’argent, tout au plus bons à couper de la croûte de pâté, et il nefallait pas que sir James songeât à s’en servir pour perforer lapoitrine de Rocambole.

– Mais, se dit-il encore, il a comptésans mes revolvers.

Et il se plaça vis-à-vis de Rocambole, mettanttoute la largeur de la table entre son adversaire et lui.

Puis, avec une urbanité parfaite :

– Je suis maintenant, monsieur, toutdisposé à vous entendre.

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