Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 41

 

Plus d’un mois s’est écoulé depuis queMarmouset est revenu à la villa.

Cependant, les deux enfants ne sont pointmariés encore.

Le docteur allemand est reparti pourLondres.

Gipsy n’est plus folle, et elle aime Marmousetde toute son âme.

Néanmoins, une tristesse mortelle s’estemparée d’elle.

Pourquoi ?

Gipsy est jeune, elle est belle, elle estfabuleusement riche. Marmouset l’aime et elle l’aime…

Ni Vanda, ni le jeune homme ne comprennentrien à cette mélancolie sombre qui n’abandonne jamais sonfront.

Plusieurs fois déjà, Vanda a essayé dequestionner la jeune fille.

Mais Gipsy s’est contentée de fondre en larmeset elle n’a point livré son secret.

Quand la fidèle compagne de Rocambole parle àGipsy de sa prochaine union avec Marmouset, Gipsy soupire et nerépond pas.

Cette tristesse a fini par gagner Marmouset,et la tristesse est voisine du désespoir.

Mais, un jour, le jeune homme se frappe lefront, comme si un souvenir lointain traversait tout à coup sonesprit.

– Oh ! dit-il, je comprends, àprésent.

C’est le soir, la nuit est venue. Gipsy estrentrée dans sa villa et l’on voit briller derrière les vitres laveilleuse de sa chambre.

Marmouset et Vanda sont seuls dans lejardin.

– Oui, murmure Marmouset d’une voixtimide, je comprends, à présent, je comprends tout.

– Mais quoi ? demande Vanda avecinquiétude.

– Gipsy aime toujours sir ArthurNewil.

– Folie !

– Elle l’aime, vous dis-je.

– On ne saurait aimer ce qu’on méprise,mon enfant.

– Qui sait ?

– Et ne vous a-t-elle pas sauté au couquand vous êtes revenu ? Ne vous a-t-elle pas dit : jet’aime !

– Elle le croyait.

Vanda, stupéfaite, regarde Marmouset.

L’enfant est affreusement pâle : untremblement nerveux parcourt tout son corps.

– Oui, répète-t-il, elle le croyaitalors. Peut-être m’aime-t-elle comme un frère, mais à coup sûr ellefrissonne encore au souvenir des caresses de sir Arthur.

– Ce lâche qui l’abandonnait ?

– Qu’importe ! murmure Marmousetavec un tel accent de conviction, que Vanda se demande s’il n’a pasdeviné la vérité.

Et elle voit Marmouset dans un tel étatd’exaltation, qu’elle lui dit :

– Mon enfant, mieux vaut encore lacertitude que l’incertitude d’un malheur. Partez pour Paris cesoir, et revenez demain. Je vous jure que, d’ici là, Gipsy se seraouverte à moi tout entière.

Vanda a conservé sur Marmouset un peu de cetteautorité qu’exerçait Rocambole.

Marmouset monte à cheval et quitte la villa augalop.

Pendant toute la soirée et une partie de lanuit, il erre comme une âme en peine sur les boulevards, dans lesChamps-Élysées, un peu partout, pour tuer le temps. Il a hâted’être au lendemain.

Marmouset sait bien que Vanda tiendra parole,et que le lendemain elle lui dira la vérité.

**

*

À peine Marmouset était-il parti que Vandamonta résolument à la chambre de Gipsy.

Elle frappa.

– Entrez ! dit la jeune fille d’unevoix émue.

Gipsy n’était point couchée.

Assise devant une table, elle écrivait.

Vanda s’assit auprès d’elle.

– Mon enfant, dit-elle en lui prenant lamain, aimez-vous Marmouset ?

– De toute mon âme, répondit Gipsy.

– Comme un frère ou comme unamant ?

Gipsy rougit et cacha sa tête dans sesmains.

– Ah ! fit-elle d’une voixétouffée.

– Vous l’aimez, murmura Vanda, etcependant, à mesure qu’approche l’heure fixée pour votre union, vosjoues pâlissent, votre regard s’éteint ; et l’on dirait quec’est à un sacrifice douloureux que vous êtes condamnée.

Gipsy se leva et regarda Vanda.

Elle ne pleurait pas, et sa voix, émue unmoment, avait retrouvé toute sa fermeté.

– Madame, dit-elle à Vanda, vous avez eupour moi la bonté affectueuse d’une mère, et je vous supplie de metémoigner cette bonté quelques heures encore.

– Que voulez-vous dire ?

– Demain, reprit Gipsy, vous reviendrezici, dans cette chambre, et vous aurez l’explication de maconduite.

Comme dans ces dernières paroles de la jeunefille il y avait une certaine exaltation, comme une flamme sombres’était subitement allumée dans son œil, Vanda eut peur.

Elle eut peur que la folie ne revînt, et ellejugea prudent de ne pas insister et de battre en retraite.

– À demain, donc, dit-elle.

Et elle prit Gipsy dans ses bras.

– Adieu, madame, répondit Gipsy avec unélan passionné.

En même temps, Vanda sentit couler une larmebrûlante des yeux de la jeune fille sur son cou.

Et elle sortit, persuadée que la foliesoutenait une dernière lutte dans ce pauvre cerveau troublé.

Vanda passa une nuit très agitée.

Plusieurs fois, elle se leva sur la pointe dupied et vint coller son oreille à la porte de la chambre deGipsy.

Mais Gipsy avait fini d’écrire et s’était miseau lit.

Il n’y avait plus de lumière dans la pièce. Lematin arriva, puis le soleil.

Vanda qui remontait à la chambre rencontraMilon.

– Oh ! madame, dit-il, pour sûr, ilnous est arrivé un malheur.

Vanda tressaillit.

– J’ai rêvé de ma mère, dit Milon, etquand je rêve de ma mère, c’est signe de mort.

Vanda monta toute tremblante et frappa à laporte. Gipsy ne répondit pas.

Elle frappa une seconde fois, sans plus desuccès, et, comme la clé était dans la serrure en dehors, Vandaouvrit la porte et entra.

Gipsy était couchée toute vêtue sur son lit,les mains croisées sur sa poitrine.

On eût dit qu’elle dormait.

Mais Milon, qui était entré derrière Vanda,s’écria :

– Morte ! morte ! elle estmorte !

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