Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 41

 

Tandis que Timoléon, tout entier à cettevengeance à laquelle désormais il avait consacré sa vie,épaississait les fils de la trame ténébreuse, Vanda était toujoursdans cette carrière inexplorée qui se trouvait au milieu de laplaine de Montfaucon.

On sait comme elle y était entrée.

On se souvient que Timoléon l’avait garrottéeavant de l’abandonner.

On se rappelle, en outre, qu’il avait donnél’ordre au Pâtissier, le lendemain, de lui porter à manger.

Cet ordre avait paru inexplicable à laChivotte et au Pâtissier.

À la Chivotte surtout qui disait :

– Puisque nous devons la tuer, pourquoidonc pas tout de suite ? Est-ce que le patron veut attendreque Rocambole la délivre ?

Le Pâtissier n’avait jamais donné une solutionà la Chivotte, puisqu’il n’était pas initié aux projets deTimoléon.

Mais il avait observé la consigne que luiavait donné ce dernier, à savoir de protéger Vanda contre touteviolence de la Chivotte.

Vanda, ainsi que le Pâtissier l’avait racontéle lendemain soir à Timoléon, était parvenue, en dépit de sesliens, à se tenir debout et à préserver ainsi au moins ses épaules,son cou et son visage de la morsure des rats.

Elle avait passé vingt-quatre heuresépouvantables.

Tout autre qu’elle eût succombé ; toutautre eût poussé des cris de désespoir et appelé la mort au fond dece sépulcre où elle était ensevelie toute vivante.

Vanda ne se désespéra point.

Elle se défendit des rats comme elleput ; puis elle attendit.

Rocambole n’avait-il pas délivréAntoinette ?

N’avait-il pas sauvé Madeleine ?

N’avait-il pas arraché Gipsy aubûcher ?

Vanda se disait :

– Ils ne m’ont pas tuée, ils ne metueront pas. Sans doute ils veulent me laisser mourir de faim… maisj’endurerai la faim au moins trois ou quatre jours, peut-être plus.Et d’ici là… Ah ! d’ici là, Rocambole peut trouver ma trace,car, à cette heure, il me cherche bien certainement.

Et Vanda calculait, en effet, que Rocamboleavait dû aller à l’hôtel Marignan le matin même, et que là, ne latrouvant plus, il aurait deviné tout ou une partie de lavérité.

Avoir seulement un fil conducteur, n’était-cepoint assez pour Rocambole ?

Vanda résistait donc à l’horreur des ténèbresqui l’enveloppaient ; elle avait fini par s’habituer aucontact de ces êtres immondes et gluants qui passaient sous sespieds.

Depuis combien d’heures la malheureuseétait-elle dans cette situation ?

Il lui eût été impossible de le dire, –lorsque tout à coup, elle entendit du bruit.

Un bruit lointain qui se rapprocha peu à peuet devint plus distinct.

Vanda reconnut des pas et des voix.

Puis un filet de clarté brilla à travers lesais mal joints de la porte de son étrange cachot.

Un moment elle espéra qu’on venait ladélivrer.

Un moment elle espéra voir paraîtreRocambole.

Hélas ! son illusion fut bientôtdétruite.

La porte s’ouvrit, le Pâtissier parut.

Derrière lui marchait la Chivotte.

Cette fois, pensa Vanda, ils viennent metuer !

Elle avait les pieds et les mains liés, maisTimoléon lui avait ôté son bâillon, elle avait donc l’usage de sesdents et elle songeait à s’en faire une arme terrible et à vendresa vie le plus chèrement possible, lorsqu’elle entendit lePâtissier qui disait :

– Nous apportons le souper de madame laduchesse.

En même temps elle vit un panier aux mains dela Chivotte.

– Ah ! canaille, disait celle-ci, ilfaut que je sois malheureuse pour qu’on me force à t’apporter àmanger au lieu de me laisser t’étrangler !

Vanda répondit par un regard de dédain à cettemenace.

Le Pâtissier tira un revolver de sa poche etdit à la Chivotte :

– Tu sais l’ordre du patron, si tumanques de respect à madame, je te brûle.

– C’est bon ! on attendra… grommelala Chivotte avec un accent de fureur.

Ceci prouvait une chose à Vanda, c’est queTimoléon n’avait point encore résolu sa mort et qu’elle pouvaitmanger, sans crainte d’être empoisonnée, ce qu’on luiapportait.

Tandis que le Pâtissier lui déliait les mains,la Chivotte avait ouvert le panier et posé auprès la lanterne dontelle était munie.

La lumière avait mis les rats en fuite.

Faisant appel de nouveau à son énergie et à laforce qu’elle possédait sur elle-même, Vanda supporta les injuresde la Chivotte, et mangea, tout comme si elle se fût trouvée encoredans le petit hôtel de l’avenue Marignan.

La nourriture qu’on lui avait apportée étaitcependant des plus frugales.

Elle consistait en deux paquets de couennes delard, un morceau de fromage, du pain et un demi-litre de vin.

Tandis qu’elle mangeait, le Pâtissier et laChivotte l’accablaient d’injures.

Elle mangea sans leur répondre ; elle nedaigna pas même les regarder.

Seulement elle trouva le moyen de fairedisparaître, tandis qu’elle avait les mains libres, un des paquetsde couennes et s’assit dessus.

Son repas terminé, les deux misérables luilièrent de nouveau les mains et s’en allèrent.

Pour la seconde fois, Vanda se trouva plongéedans les ténèbres, les mains garrottées derrière le dos, les jambesétroitement attachées.

Mais, tout en paraissant manger avec uneavidité bestiale et tandis que le Pâtissier et la Chivottel’insultaient avec trop de passion pour la pouvoir observer, Vandaavait porté autour d’elle un regard investigateur.

Elle avait remarqué plusieurs anfractuositésdans les parois de la carrière.

Elle avait aperçu tout en haut une sorte detrou assez semblable au nid d’un cormoran dans une falaise.

L’espoir d’une évasion lui était venu.

Les deux misérables l’avaient laissée adosséeà une des parois de la carrière.

Mais Vanda se coucha d’elle-même.

Elle se coucha sur le dos, de façon à ce queses mains fussent, quoique liées, en contact avec le sol.

Et, à force de tâtonner, ses mains setrouvèrent à portée du paquet de couennes de lard.

Alors elle se vautra dessus, de façon àenduire de graisse la corde qui lui attachait les poignets.

Puis, avec cette souplesse féline qui luiétait particulière, elle se redressa.

La lumière disparue, les rats étaientrevenus.

Vanda les sentait grouiller autour d’elle etse disputer les miettes de pain tombées sur le sol.

Bientôt elle sentit que quelques-unsgrimpaient après elle.

Mais elle ne fit point comme auparavant, ellene se secoua point, en criant, de façon à les mettre en fuite.

Les rats grimpèrent, attirés par l’odeur dulard qu’exhalait la corde.

Cette corde serrait les poignets de Vanda,mais lui laissait l’usage de ses doigts.

Elle fut obligée de s’en servir pour étranglerdeux rats qui la mordirent.

Mais deux autres s’étaient mis à ronger lacorde et Vanda attendait avec anxiété, en supportant ce hideuxcontact, qu’elle pût profiter de leur œuvre de destruction.

Enfin, elle donna une secousse vigoureuse.

Les rats dégringolèrent.

Mais la corde à demi rongée se rompit.

Les mains de Vanda étaient libres.

Dénouer les cordes qui lui attachaient lesjambes fut pour elle l’affaire d’un moment.

Elle avait désormais l’usage de ses membres,elle pouvait se défendre contre les rats et les écraser sous sespieds. Mais c’était tout…

Vanda n’en était pas moins prisonnière etplongée dans les ténèbres.

Tout à coup, elle entendit des cris aigus.

C’étaient les rats qui s’enfuyaient commes’ils eussent été surpris par un ennemi inattendu.

En même temps Vanda leva la tête et vit dansun coin de la carrière deux points lumineux comme des charbons.

C’étaient les yeux d’un tigre ou ceux d’unsimple chat de gouttière.

Vanda ne le sut pas au juste, toutd’abord.

Mais elle comprit que le ciel lui envoyaitpeut-être un auxiliaire.

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