Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 43

 

Quel était ce visage rougeaud et d’aspecthideux qui venait d’apparaître à Vanda ?

Avant de le dire, revenons à Timoléon, quenous avons laissé seul en face de sir James Nively, toujours enléthargie.

Timoléon avait donné deux ordres auPâtissier.

Le premier consistait à découvrir une femme dunom de Philippette, et à la lui envoyer.

Le second, à revenir la nuit suivante, à lamême heure.

La deuxième pièce dans laquelle sir Jamesétait couché se trouvait assez loin de la porte de l’appartementet, par conséquent, de l’escalier, pour que, si l’Anglais rouvraitses yeux, Timoléon eût le temps de l’empêcher de manifester tropbruyamment sa surprise, en lui expliquant où il était, avant quepersonne n’eût rien entendu dans la maison.

Mais cette situation plaçait Timoléon dansl’obligation absolue de ne plus sortir.

Car, en son absence, le baronnet revenantsubitement à lui, se trouvant seul, dans un lieu inconnu, n’auraitpas manqué de faire un tapage d’enfer, et tout se seraitdécouvert.

Timoléon, assez vivement préoccupé de cetteidée, avait négligé de dire au Pâtissier qu’il fallait, ce soir-là,à la même heure que la veille, porter à manger à Vanda.

Le faux placeur avait bien fermé sa porte auverrou, de peur de surprise, puis il s’était installé non pointdans son bureau, mais dans sa chambre, auprès du lit, l’œil fixésur le baronnet endormi, et il avait attendu Philippette.

Si l’on s’en souvient, Philippette était cettevieille mendiante qui avait, autrefois, servi de commissionnaire àM. de Morlux en se faisant arrêter et portant àSaint-Lazare le poison destiné à Antoinette.

Philippette n’avait pas de domicile ;elle couchait un peu partout, souvent au violon, mais on était sûrde la rencontrer à six heures du matin, en hiver, à quatre heuresen été, dans quelqu’un des cabarets qui avoisinent les Halles.

Le Pâtissier savait fort bien cela, et il nel’avait pas cherchée longtemps.

À dix heures du matin, Philippette arrivaitrue du Vert-Bois, avec des renseignements positifs.

Elle savait que Timoléon tenait un bureau deplacement.

Elle ne s’amusa point à demander desrenseignements en bas et monta tout droit.

Timoléon vint lui ouvrir et s’enferma avecelle.

– Que fais-tu maintenant ? luidit-il.

– Toujours la même chose, répondit-elle.Mais les temps sont durs. Il pleut des rousses ; on en trouvepartout, et à chaque minute on a peur d’être emballé. Il faut avoirbien faim et bien soif pour se risquer à grinchir.

– Où perches-tu, pour lemoment ?

– La semaine dernière encore, j’allaiscoucher au Petit Tivoli, aux Carrières d’Amérique.

– Et… maintenant ?

– Maintenant, depuis qu’on a fait unerazzia l’autre semaine, je me méfie et je vais à Pantin.

– Ah ! ah ! fit Timoléon, etdans quelle carrière ?

– Dans une où personne ne va encore.Voici trois nuits que j’y fais du feu et que personne ne me vienttenir compagnie.

– Où est-elle donc, celle-là ?

Comme on le pense bien, Timoléon était revenudans la première pièce de son logement, pour recevoir Philippetteet la vieille femme n’avait point vu sir James Nively.

Timoléon prit un morceau de craie et se mit àtracer sur le carreau une espèce de carte géographique.

C’était le plan du vallon de Montfaucon et dePantin.

– Tiens, dit-il, regarde bien.

– Allez, dit Philippette, je m’yconnais.

Timoléon marqua un point qui, selon lui,devait indiquer la place exacte de l’une des carrières.

– Est-ce là ? dit-il.

– Non.

Il traça un autre point.

– Et là ?

– Non plus. Mais c’est tout à côté.

– Alors, dit Timoléon dont le visages’épanouit tout à coup, ce doit être là…

Et il fit une nouvelle marque.

– Justement, répondit Philippette.

– Est-ce que tu n’as pas vu un trou dansla roche, tout au fond ?

– Je n’ai pas regardé.

– Mais tu y as couché trois nuits desuite pourtant ?

– Oui.

– Et tu n’as entendu aucunbruit ?

– Aucun.

– C’est drôle, dit Timoléon. J’auraisparié que tu avais entendu des cris de femme appelant ausecours.

– D’où venaient ces cris ?

– De dessous terre.

– Je n’ai rien entendu, répétaPhilippette. Après ça, la nuit, je suis un peu lasse.

– Et un peu saoûle aussi…

– Je ne dis pas non, patron.

– Ça fait que tu dors bien.

– Comme vous dites.

– Mais, dit Timoléon, si tu veux que nousfassions affaire, il ne faut pas boire.

– De longtemps ?

– Non, de deux jours.

– C’est long, soupira Philippette.

– Mais il y a une dizaine de jaunets aubout.

– C’est bon, on boira de l’eau. Qu’est-cequ’il faut faire ?

Timoléon tenait toujours son morceau de craieà la main.

– Tiens, dit-il, regarde bien.

– Bon !

– Là, il doit y avoir un mur et un jardinabandonné.

– Oui, c’est, ma foi, vrai…

– Et dans ce jardin un puits couvert deplanches.

– Je le vois d’ici.

– Entre ce puits et la carrière où tu ascouché, il y a une autre carrière qu’on a comblée par en haut, maiselle est toujours creuse en dessous.

On y arrive par le puits. Seulement, entre lepuits et la carrière il y a une porte qui ferme à clé.

Philippette écoutait avec une grandeattention ; la promesse des dix jaunets l’avait mise en bellehumeur et stimulait sa perspicacité.

– Dans cette carrière il y a unecrevasse ; cette crevasse se continue par un boyau souterrainjusqu’à la carrière où tu as couché.

En cherchant bien, tu trouveras un trou largecomme la main.

– Bon !

– Ni une femme ni un homme n’y pourraientpasser, et le rocher est assez dur pour que deux journées decarrier, avec de bons pics, ne suffisent pas à l’élargir.

Philippette écoutait toujours.

– Dans la carrière qui ferme par uneporte j’ai enfermé une femme.

– Ah !

– Cette femme doit crier, certainement,tu l’entendras.

– Et je ne dirai rien ?

– Au contraire, tu quitteras ta carrière,tu t’en iras au puits et tu descendras dedans. La porte est ferméeet ce n’est pas toi qui aurais la force de l’enfoncer.

– Alors, à quoi ça sert ce que vous mecommandez ? observa judicieusement Philippette.

– Mais tu essayeras de l’ébranler.

– Bon !

– Et la femme enfermée, qui a les bras etles jambes attachées, se réclamera de toi, elle te donnerapeut-être une commission… celle d’aller chercher quelqu’un quis’intéresse à elle et qui demeure rue Saint-Lazare.

– Et j’irai ? dit Philippette.

– Certainement.

– Mais je viendrai vous ledire ?

– Pas ici, mais demain, au coin de larue, vers sept heures du matin.

– Et puis ?

– Et puis tu iras faire tacommission.

– Voilà tout ?

– Sans doute.

– Pourtant c’est vous qui avez enfermécette femme ?

– Oui.

– Et vous voulez qu’un autre ladélivre ?

– Naturellement.

– C’est drôle fit la vieille bohémienne,je ne comprends pas.

– Tu n’as pas besoin de comprendre,répondit Timoléon.

Et il congédia Philippette.

Puis après le départ de la vieille femme, ilmurmura :

– Je pourrais bien tenir Rocambole d’icià trente-six heures.

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