Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 12

 

– Que peut avoir de commun le major Hoffavec Mlle Marie Berthoud, la fiancée de Lucien deHaas ?

Telle était la question que se posaitRocambole, qui s’était effacé dans l’ombre d’une allée voisine.

Le major Hoff, qui, si on en croyait lemanuscrit de Bob, n’était autre que Franz qui avait jadis aidé à ladélivrance de miss Ellen, à Glasgow, – le major Hoff, disons-nous,ne s’arrêta que quelques minutes dans la loge de la concierge.

Cependant il eut le temps de lui adressercette question que Rocambole entendit parfaitement.

– À quelle heure sort mademoiselleBerthoud ?

– Monsieur, répondit la concierge, depuisque Mademoiselle a une bonne et qu’elle est pour se marier, elle nesort plus le matin, comme elle faisait autrefois pour chercher del’ouvrage ou en rapporter à son magasin.

– Ah ! fit le major. Mais neva-t-elle pas tous les jours se promener aux Tuileries avec sonpère ?

– Quand il fait beau, oui, monsieur.

– C’est bien, voilà pour vous…

Et le major jeta un louis sur la table.

La concierge salua jusqu’à terre.

– Il est inutile, n’est-ce pas, ajouta lemajor, de vous prier de ne point parler de tout cela àMlle Berthoud ?

La concierge fit un signe d’intelligence et lemajor sortit.

Il passa près de Rocambole sans le voir.

Rocambole avait entendu les quelques motséchangés entre la concierge et le major.

– Je trouveraiMlle Berthoud dans une heure aussi bien qu’àprésent, se dit-il, le plus important est de suivre le major.

Et il le suivit en effet.

Le major prit la rue Saint-Hyacinthe, celle duMarché-Saint-Honoré où se trouve une station de voitures et montadans un fiacre en disant au cocher :

– Au Grand-Hôtel !

C’était tout ce que voulait savoirRocambole.

Si le major, ce qui était probable, n’habitaitpas au Grand-Hôtel, du moins il allait y voir quelqu’un.

Or, ce quelqu’un pourrait bien êtremilady.

En effet puisque, selon toute apparence lachâtelaine de Rochebrune avait eu Franz pour complice dans lemeurtre de l’intendant Bob, – selon toute apparence aussi, puisqueFranz était à Paris, milady s’y trouvait.

Rocambole se faisait toutes ces réflexions etles résolvait une à une, tout en prenant, à pied, la rueNeuve-des-Capucines qui, on le sait, aboutit au boulevard non loindu Grand-Hôtel.

Seulement, il en revenait toujours à celle-làdont il ne trouvait pas la solution immédiate :

– Que pouvait avoir de commun le majorHoff avec Mlle Marie Berthoud ?

Et, tout à coup, Rocambole tressaillit et unegrande lumière se fit dans son esprit.

Si l’on en croyait le manuscrit de Bob, missEllen, c’est-à-dire milady avait eu un enfant.

Cet enfant n’était-il pas M. Lucien deHaas ?

Rocambole sentit quelques gouttes de sueurperler à son front.

Il songeait à Lucien si brave, si bon, sisympathique et qui était peut-être le fils de ce monstre qui avaitassassiné son père et sa sœur et dépouillé la malheureuseGipsy.

Et, malgré lui, un rapprochement se fit dansson esprit :

Il compara milady à l’infâme vicomte Karl deMorlux, Lucien à ce brave et loyal Agénor qui était devenul’heureux époux d’Antoinette.

Et Rocambole qui avait songé un moment àpénétrer dans le Grand-Hôtel, à suivre si obstinément le major Hoffet à chercher milady, Rocambole rebroussa chemin, ou plutôt iltraversa le boulevard et prit la rue Caumartin pour se rendre chezlui, rue Saint-Lazare.

Il voulait éclaircir un dernier doute ;il voulait avoir le cœur net de cette vague ressemblance que Lucienlui paraissait avoir avec quelqu’un qu’il avait déjà vu.

Le major Avatar s’était, nous l’avons dit,installé à son retour de Londres, dans un petit appartement de larue Saint-Lazare.

Il avait pris un valet de chambre.

Ce valet de chambre, un vieillard, n’étaitautre que Milon.

Milon avait revêtu une belle livrée en drapbleu, toute chamarrée d’or, et il avait une mine superbe dans sonantichambre.

Le petit Jacquot l’admirait naïvement ets’étonnait cependant que son nouveau maître l’eût pris à sonservice puisqu’il n’avait pas de chevaux.

– Il faut prendre patience, mon garçon,M. le major est en train de monter ses écuries.

Rocambole, en entrant chez lui, trouva doncMilon qui l’attendait.

Milon lui dit :

– Vanda est venue.

– Ah ! fit Rocambole. Quanddonc ?

– Il y a dix minutes. Elle ne reviendrapas aujourd’hui, mais elle pense pouvoir s’échapper vers minuit,heure où sir James Nively doit être présenté dans un club. Elle m’aremis ce billet pour vous.

Rocambole ouvrit le billet et lut :

« Mon maître adoré,

« La passion de sir James prend desproportions qui commencent à m’inquiéter, cependant il ne sort pasencore des bornes du respect. Il est toujours mystérieux etpersiste à ne pas savoir ce que c’est que Gipsy, mais il faudrabien qu’il parle.

« Hier soir, il a reçu une lettre portantdes timbres bizarres, et qu’on lui renvoyait de Londres.

« C’est, sans doute, un ordre venu del’Inde.

« Il s’est empressé d’enfermer cettelettre dans son portefeuille qu’il a toujours sur lui.

« Et toi, maître, que sais-tu ?

« À ce soir, minuit.

« Ton esclave,

« VANDA. »

Rocambole brûla ce billet en entrant dans soncabinet.

Puis il ouvrit le tiroir de son secrétairedans lequel il avait mis, en arrivant, la boîte de fer quirenfermait le manuscrit et le portrait.

Il s’empara du portrait, le regarda et étouffaun cri.

Miss Ellen à quatorze ans avait uneressemblance frappante avec Lucien.

Lucien, pour qui Rocambole avait éprouvé unede ces sympathies irrésistibles qui sont un des grands secrets dela nature.

Lucien, qui certainement était le fils demilady.

Et Rocambole comprit pourquoi le major Hoffs’était informé des habitudes de Mlle MarieBerthoud et avait voulu savoir si elle allait toujours se promeneraux Tuileries avec son vieux père.

Milady, qui, sans doute, avait fait élever sonfils loin d’elle, voulait voir sa fiancée…

Rocambole sonna Milon…

– Tu vas me faire habiller ce jeunegarçon que j’ai ramené. Tu le conduiras dans une maison deconfection, et tu le déguiseras autant que possible en étudiant ouen collégien.

– Bien, fit Milon qui avait prisl’habitude de ne jamais discuter les ordres de Rocambole, quelqueétranges qu’ils fussent. Et puis ?

– Et puis, tu le ramèneras ici, où ilattendra que j’aie besoin de lui.

Milon sortit.

Rocambole replaça le médaillon dans la boîtede fer, tira de celle-ci le manuscrit de Bob et reprit la sombrehistoire de miss Ellen à l’endroit où il l’avait laissée.

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