Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 17

 

Quelques minutes après que Marie Berthoud etson père eurent tourné l’angle de la rue du Dauphin, la portière dece fiacre mystérieux qui stationnait stores baissés devant l’égliseSaint-Roch s’ouvrit, et deux hommes ou plutôt un homme et un toutjeune homme en descendirent.

Ce dernier était revêtu d’un uniforme decollégien, portait un petit képi galonné et par-dessus l’uniformeun caban à capuchon.

Il eût été bien difficile de reconnaître enlui Jacquot, le petit groom du château de Rochebrune.

D’autant plus difficile, même, que le col ducaban boutonné sous le menton ne laissait voir que le haut duvisage.

Le personnage qui l’accompagnait, on l’adeviné déjà, n’était autre que Rocambole.

Mais Rocambole si bien métamorphosé que sesdisciples eux-mêmes ne l’eussent point reconnu.

Il s’était affublé d’une ample redingotenoisette, à collet comme les carricks d’autrefois, d’une perruqueet d’une barbe blonde assez épaisses et assez touffues pour cacherentièrement sa chevelure noire et les fines moustaches du majorAvatar.

Une paire de lunettes vertes, une lorgnette decourses portée en bandoulière, et un de ces parapluies énormesrouge et bleu qu’on ne trouve plus que de l’autre côté de laManche, complétaient ce déguisement.

On eût juré que Rocambole était un braveAnglais de la Cité, ambitionnant à peine le titre de gentleman, etqui venait à Paris pour la première fois.

Ils descendirent donc tous deux du fiacre auxstores baissés.

Mais Rocambole, au lieu de payer le cocher,lui dit avec cet accent britannique qu’il possédait si naturelquand il le voulait :

– Vôs attendre moâ et bonpourboire !

Puis il prit Jacquot par le bras et ils sedirigèrent vers cette grille des Tuileries que Marie Berthoud etson père venaient de franchir.

Rocambole regardait par-dessus ses lunettes etson œil perçant eut bientôt découvert Marie Berthoud et son pèrequi se promenaient dans la grande allée des Tuileries.

– Restons ici, dit-il à Jacquot.

Et ils s’accoudèrent à la balustrade de laterrasse des Feuillants.

Rocambole surveillait attentivement les deuxgrilles, celle de la rue de Castiglione et celle qui s’ouvrepresque en face de la rue du 29 Juillet.

Le temps était superbe et l’air presqueprintanier.

Le beau monde affluait aux Tuileries.

Rocambole se disait :

– Si milady vient avec le major Hoff, jen’aurai pas besoin de Jacquot. Mais il est possible qu’elle vienneseule ; et alors comment la reconnaître ?

Rocambole ne se trompait pas.

Tout à coup Jacquot lui poussa le bras endisant :

– La voilà !

En effet, une femme vêtue de noir, mais d’uneélégance exquise, et dont la démarche trahissait une origine toutepatricienne, entra par la grille de la rue du 29 Juillet.

Toute son attention était si bien concentréesur le jardin qu’elle passa auprès de Rocambole et de Jacquot sansmême s’apercevoir qu’elle était le but de leurs regards.

Rocambole ne put réprimer un gested’admiration.

Milady avait bien quarante ans, mais elleétait si belle, en sa pâleur nerveuse, elle avait l’œil sibrillant, les lèvres si rouges, la taille si svelte et si souplequ’on eût hésité à affirmer qu’elle avait dépassé la trentaine.

Plus que jamais elle ressemblait à Lucien.

– Oui, pensa Rocambole, c’est bienelle.

Milady était seule, elle était venue sans lemajor Hoff.

Un moment, elle s’arrêta sur la terrasse desFeuillants et parut hésiter.

Mais bientôt son regard se fixa sur deuxpromeneurs.

C’étaient Marie et son père.

Puisque milady venait aux Tuileries pour voirMarie Berthoud, c’est que la jeune fille lui était inconnue.

Mais il est facile de comprendre qu’une jeunefille sur le bras de laquelle s’appuie un vieillard est aisée àreconnaître.

Aussi, milady n’eût-elle pas hésité à se dire« c’est elle ! » alors même qu’elle n’eût paséprouvé un battement de cœur.

Rocambole devina son agitation, d’autant mieuxqu’avant de descendre de la terrasse dans le jardin, miladyrabattit son voile sur son visage.

Ce voile était assez épais pour dissimuler sestraits et cacher au besoin cette émotion qu’elle venaitd’éprouver.

Marie Berthoud, après une promenade dequelques minutes, ramena son père vers le premier rang de chaisesexposées au soleil, auprès de la grande allée.

Puis elle jeta un regard timide autourd’elle.

Milady, elle aussi, était allée s’asseoir àpeu de distance ; seulement elle s’était placée auprès d’unarbre qui la masquait presque tout entière.

Elle pouvait écouter la conversation de MarieBerthoud et la voir tout à son aise.

Marie, au contraire, ne la voyait pas.

Quand elles furent ainsi placées, Rocambolereprit le bras de Jacquot et lui dit :

– Allons-nous-en !

Ils regagnèrent la rue du Dauphin etretrouvèrent le fiacre devant Saint-Roch.

– Où faut-il conduire mylord ?demanda le cocher.

– Moâ le dire à vô tout de suite !répondit Rocambole.

Et il remonta dans le fiacre.

Alors une nouvelle métamorphose s’opéra, àl’abri des stores parfaitement baissés.

La perruque et la barbe blonde tombèrent, etl’ample redingote noisette, en s’ouvrant, laissa voir la redingotemagyare du major Avatar.

Rocambole baissa la glace de devant du store,passa le bras et tendit un louis au cocher en lui disant :

– Rue Saint-Lazare.

Puis s’adressant à Jacquot :

– Tu vas rentrer et m’attendre.

En même temps, il ouvrit la portière et sautasi lestement sur le pavé que le cocher n’eut pas le temps de levoir.

En quelques enjambées, le major Avatar futdans le jardin des Tuileries et s’approcha de Marie Berthoud.

La jeune fille avait concentré ses regards surla grille par laquelle Lucien entrait ordinairement.

Lucien était en retard. Marie étaitinquiète.

Elle se leva étonnée en voyant le majors’approcher d’elle, son chapeau à la main.

– N’est-ce pas à Mademoiselle Berthoudque j’ai l’honneur de parler ? demanda-t-il.

– Oui, monsieur, répondit la jeune filleen tremblant.

– Je suis un ami de Lucien…

Marie tressaillit.

– Il va venir, dit-elle… et… si vous avezà le voir ?…

– Il ne viendra pas, mademoiselle,répondit Rocambole. C’est lui qui m’envoie.

– Il ne viendra pas ! dit Marieeffrayée. Mon Dieu !

– Un petit accident… une égratignure… àla suite d’une querelle cette nuit… au club…

Marie jeta un cri.

– Blessé, dit-elle, mortpeut-être !

– Non, mais blessé…

Marie jeta un nouveau cri.

Et, à ce cri, un autre cri répondit.

La femme vêtue de noir et cachée derrièrel’arbre, milady, venait de s’évanouir !

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