Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 29

 

Une minute de plus, et c’en était fait deVanda.

Mais le lasso, qui déjà la serrait, sedistendit comme par enchantement ; la main qui en tenaitl’extrémité opposée s’ouvrit et la laissa tomber.

Vanda, qui déjà fermait les yeux ets’apprêtait à mourir en murmurant tout bas le nom de Rocambole,Vanda rouvrit les yeux et regarda.

Elle vit sir James encore debout, maisoscillant déjà comme un chêne déraciné.

Son œil était fixe, sa bouche béante, sonfront s’était couvert d’une pâleur subite.

Il balbutiait des mots sans suite ; puisce ne furent plus que des cris étouffés, des sons inarticulés etsauvages.

Et, chancelant de plus en plus, il essaya dese baisser pour ressaisir le lasso.

Mais il tomba lourdement sur le sol.

Le foudroyant narcotique mélangé à la tasse dethé venait de produire son effet.

En tombant, sir James poussa un derniercri.

Puis, ses yeux se fermèrent.

Pendant un moment encore, son corps s’agita endes convulsions suprêmes. On eût dit la lutte dernière del’agonie.

Et les convulsions cessèrent à leur tour,comme s’étaient éteints les cris…

Et sir James garda l’immobilité de lamort.

Alors un soupir de soulagement s’échappa de lapoitrine de Vanda.

On eût dit qu’on venait de lui ôter un poidsécrasant qui l’étouffait.

Pendant quelques minutes, elles fut trop émue,trop bouleversée pour pouvoir faire autre chose que contemplercelui qui avait failli la tuer, et qui était réduit àl’impuissance.

Mais enfin le souvenir de Rocambole luirevint, et avec ce souvenir le sentiment du devoir.

Vanda prit la lampe qui se trouvait sur latable, alla vers la croisée qu’elle ouvrit, et la posa surl’entablement.

Tout aussitôt une ombre s’agita dans lejardin.

Puis auprès de cette ombre une autre.

Et Vanda reconnut Rocambole et Milon.

La chambre de Vanda, nous l’avons dit déjà,était située au rez-de-chaussée.

Rocambole s’arrêta sous la croisée etdit :

– Est-ce fait ?

– Oui, répondit Vanda encore émue.

Rocambole, d’un bond, eut atteintl’entablement de la croisée, et de l’entablement il sauta dans lachambre.

Mais soudain il s’arrêta muet, stupéfait, lasueur au front.

Il venait d’apercevoir au cou de Vanda leterrible lasso des Étrangleurs.

– Ah ! lui dit Vanda, il étaittemps… J’ai failli mourir…

Et alors elle raconta d’une voix brève,haletante, saccadée, la fureur subite de sir James, ses désirsféroces, sa résolution de la tuer et comment, par un mensonge, parcette supposition d’enfant qu’elle avait accueillie comme uneinspiration, elle avait pu gagner du temps…

Comment, maîtresse d’un poignard, elle s’étaitcrue sauvée un moment.

Comment encore elle avait perdu tout espoir etfermé les yeux en sentant le lasso s’abattre sur elle.

– Une minute de plus, dit-elle, etj’étais morte !

– Eh bien ! dit Rocambolefrémissant, tu ne le craindras plus désormais.

– Est-ce qu’il est mort ? demandaVanda.

– Non, mais il est dans la situation oùjadis nous avons mis Antoinette pour la faire sortir deSaint-Lazare. En d’autres temps, je l’aurais tué. Mais je me suisjuré de ne verser le sang qu’à mon corps défendant.

– Qu’en vas-tu donc faire ?

– Je le tiendrai prisonnier dans la cavede la maison de la rue du Vert-Bois jusqu’à ce que notre but soitatteint, jusqu’à ce que les millions de Gipsy soient retrouvés.

– Et alors ?…

– Alors je l’endormirai de nouveau, nousle placerons dans une caisse, comme un ballot de marchandises etnous le renverrons à Londres où les Étrangleurs sont peut-êtreencore de mode, car à Paris ils ont fait leur temps.

Milon était demeuré dans le jardin.

Rocambole se pencha à la croisée et luidit :

– Tu n’entends aucun bruit ?

– Aucun, répondit Milon.

– La maison est déserte, les domestiquessont tous sortis, ajouta Vanda.

– La voiture est de l’autre côté dumur ? demanda encore Rocambole.

– Oui.

– Alors, charge-toi du colis.

Et Rocambole, aidé de Vanda, prit le baronnetsir James Nively aussi inerte qu’un cadavre, et ils l’apportèrentvers la croisée.

Milon s’était établi au pied de la fenêtre,arcbouté comme un hercule forain qui attend la chute d’unfardeau.

Vanda et Rocambole soulevèrent le baronnet, lepassèrent en dehors de la croisée et le laissèrent tomber dans lesbras de Milon le colosse.

Puis ce dernier chargea le corps sur sonépaule et prit la fuite à travers le jardin.

– Adieu, dit Rocambole à Vanda.

– Comment ! fit la jeune femme, tume laisses ici ?…

– Sans doute, répondit Rocambole quiavait déjà enjambé la croisée pour sauter dans le jardin.

– Mais pourquoi ? demanda Vanda.

– Parce que j’ai besoin de toi ici.

– Ah !

– Je t’ai dit l’histoire de miss Ellen etd’Ali-Remjeh, n’est-ce pas ?

– Sans doute.

– Eh bien ! cet Ali-Remjeh, chefsuprême des Étrangleurs, qui depuis vingt ans était retourné auxIndes, s’est repris d’un bel amour pour miss Ellen, c’est-à-direpour milady.

– Vraiment ?

– Et il veut l’épouser. Mais milady n’enveut pas…

– Pourquoi ?

– Parce que depuis longtemps déjà elle acédé à l’amour de Franz qui se fait appeler le major Hoff.

– Eh bien ? demanda Vanda.

– Eh bien ! demain milady doit venirici, croyant rencontrer sir James.

– Ah !

– Elle y viendra pour essayer de fairerevenir Ali-Remjeh sur sa fantaisie amoureuse.

– Bon ! je commence àcomprendre.

– Il faut que tu sois ici pour larecevoir.

– Et toi, dit Vanda, yseras-tu ?

– Certainement. Avant huit heures dumatin. Ainsi, bonne nuit… Tu n’as plus rien à craindre, ni du lassoni du poignard de sir James Nively.

Rocambole mit un baiser au front de Vanda etsauta dans le jardin.

Celle-ci, appuyée sur la croisée ouverte, levit s’éloigner et gagner une échelle appliquée contre le mur.

Cette échelle avait déjà servi à Milon quiétait de l’autre côté du mur.

Vanda vit Rocambole gravir les échelons,s’établir à califourchon sur le mur, retirer l’échelle ensuite etdisparaître.

Alors elle referma la fenêtre etmurmura :

– Ah ! je l’ai échappé belle, cettenuit !

– Mais tu ne te sauveras pas ! ditune voix derrière elle.

Et Vanda, les cheveux hérissés, vit deuxpersonnages qui se tenaient immobiles sur le seuil de la porte quis’était ouverte sans bruit.

L’un était Timoléon.

L’autre Madeleine la Chivotte.

– C’est l’heure de la revanche !ricana Madeleine, qui se souvenait du coup de pistolet de la rue deBellefond.

– Voici ta dernière heure ! répétaTimoléon.

Vanda jeta un cri. Mais ce cri, Rocambole nepouvait l’entendre.

Il était déjà loin.

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