Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 32

 

Qu’était devenue Vanda ?

Il nous faut, pour le savoir, nous reporter aumoment où la jeune femme, appuyée à la croisée, avait vudisparaître Rocambole par-dessus le mur du jardin.

Alors, elle s’était retournée et s’étaittrouvée face à face avec Timoléon et Madeleine la Chivotte.

La Chivotte, on s’en souvient, était cettefemme perdue, voleuse et dépravée qui, après avoir abreuvéd’outrages, à Saint-Lazare, Antoinette Miller, s’était constituéesa gardienne, dans le pavillon de la rue de Bellefond, où Timoléonl’avait enfermée.

Vanda, on s’en souvient aussi, avait délivréAntoinette au moment où elle allait succomber aux brutalités d’unmisérable et périr ensuite sous le sabot de la vindicativeMadeleine.

La balle du revolver de Vanda l’avait étendueau milieu d’une mare de sang.

Mais Madeleine la Chivotte n’était pointmorte, et nous avons vu Rocambole la retrouver dans un garni, enpossession d’une petite fille volée.

Comment cette femme, qui s’était amendée enapparence, et qui paraissait convertie au bien par Rocambole, seretrouvait-elle dans le camp de ses ennemis et prête à servirTimoléon ?

C’est là un mystère que nous allons essayer depénétrer.

Avant son départ pour l’Angleterre, Rocamboleavait confié la petite fille aux épaules tatouées, l’enfant deNadeïa Komistroï, non plus seulement à la Chivotte, mais à laCamarde, la terrible hôtesse du cabaret de l’Arlequin.

Ces deux femmes, la Camarde et la Chivotte,avaient d’abord vécu en assez bonne intelligence ; puis ellesavaient eu des querelles et la Camarde, gardant l’enfant, avaitchassé Madeleine.

Celle-ci, qui n’était dévouée à Rocambole quepar terreur, avait repris alors son indépendance.

Elle s’en était retournée d’abord à Paris, etavait, pendant quelques semaines, fréquenté les cabarets et lesgarnis où se réunissaient les voleurs.

Puis, la police ayant opéré des razzias, laChivotte s’était réfugiée aux Carrières d’Amérique.

Là, elle avait retrouvé le Pâtissier.

Le Pâtissier, toujours altéré, toujours ivrede vengeance et ne rêvant qu’une chose, – l’extermination deRocambole.

Le Pâtissier et la Chivotte se connaissaientde longue main. Le premier s’étonna de retrouver celle-ci,misérable et cherchant, comme disent les voleurs, un coup àfaire.

– Tu es donc brouillée avec laCamarde ? lui demanda-t-il d’un air de compassion.

– À mort, répondit la Chivotte.

– Pourquoi ?

– Elle est folle de Rocambole et ellevous en casse la tête du matin au soir.

– Voyez-vous ça ? ricana lePâtissier.

– Avec ça, reprit la Chivotte, queRocambole se moque pas mal d’elle.

– Tu crois ?

– Il a une largue qu’iladore.

– Ah ! oui… cette belle blonde… jesais.

– Qui a failli me tuer il y a sixmois.

– Encore une histoire que je sais, dit lePâtissier. Et toi, bonne fille, tu ne lui en veux pas ?

La Chivotte eut un regard et un rireféroces :

– C’est-à-dire, fit-elle, que si jepouvais la manger toute vive…

– Tu le ferais ?

– Un peu, mon neveu.

– Mais, tu ne peux pas… Toi aussi tu aspeur de Rocambole…

Et le Pâtissier ricana de plus belle.

– Avec ça que tu n’en as pas peur,toi ? dit la Chivotte d’un ton d’ironie. Il t’a flanqué à laporte de chez la Camarde, et tu t’es en allé sans rien dire.

– Mais c’est parce que j’étaisseul !…

– Ah ! tu étais seul… etmaintenant…

– Nous sommes deux à le haïr, et si tuvoulais, ajouta le Pâtissier, nous serions trois…

La Chivotte secoua la tête :

– Il n’y avait qu’un homme, dit-elle, quipouvait lutter avec Rocambole.

– Ah !

– Et encore il a été roulé deux fois.

– Comment l’appelles-tu ?

– Timoléon.

– C’est précisément de lui que je voulaiste parler.

– Tu le connais ?

– Sans doute, et nous nous sommesassociés.

– Pour travailler ?

– Non, pour exterminer Rocambole.

Mais la Chivotte hocha de nouveau la tête d’unair de doute et de découragement :

– Tu te montes peut-être bien lecoup ! dit-elle.

– Tu crois ?

– Timoléon a une fille, et c’est par làque Rocambole le tient.

– Tu te trompes, répondit le Pâtissier.La fille de Timoléon est morte, et maintenant il ne craint plusrien et n’a plus qu’une idée, celle de se venger.

Ces mots produisirent une sensation profondesur la Chivotte :

– Si c’est comme ça, dit-elle, j’ensuis !

– Vrai ?

– Oh ! je crois bien,dit-elle ; moi aussi, je veux me venger.

Et le Pâtissier avait embauché la Chivotte,et, le soir même, elle était aux ordres de Timoléon.

Celui-ci s’était introduit dans l’hôtel, aprèsavoir grisé le valet de chambre de sir James Nively, trop tard poursauver le baronnet, mais assez tôt pour s’emparer de Vanda.

Vanda sentit ses cheveux se hérisser en setrouvant en présence de ses implacables ennemis.

De l’autre côté de la porte, à demi dansl’ombre, par-dessus l’épaule de la Chivotte, apparaissait la têtehideuse et grimaçante du Pâtissier.

– Enfin, dit Timoléon, nous tetenons !

Vanda fit un bond vers la croisée…

Mais elle avait encore au cou le terriblelasso que lui avait lancé sir James Nively, et dont l’extrémitéopposée traînait à terre.

Et comme Vanda allait franchir l’entablementet sauter dans le jardin, Timoléon mit le pied sur le bout dulasso.

Vanda fut obligée de s’arrêter, car elle sefût étranglée en essayant de vaincre cette résistance.

En même temps, la Chivotte se jeta sur lepoignard que Vanda, tandis qu’elle causait tout à l’heure avecRocambole, avait replacé sur la table.

Tout cela eut la durée d’un éclair.

Timoléon tira le lasso à lui, Vanda futobligée de suivre cette pression.

Puis, Timoléon fit un signe, et le Pâtissierferma la fenêtre et laissa retomber les rideaux ; de façon ques’il se fût trouvé quelqu’un encore dans le jardin, ce quelqu’unn’aurait pas pu voir ce qui se passait à l’intérieur de la chambrede Vanda.

– Cette fois, nous te tenons et nous tetenons bien, dit Timoléon.

Et, d’un vigoureux coup de poignet, et avecune dextérité qui eût fait honneur à un étrangleur de profession,il étendit Vanda sur le parquet.

Vanda jeta un cri étouffé. La cordemeurtrissait son cou d’albâtre et l’étranglait.

– Oh ! papa, dit la Chivotte quiavait fermé la porte, vous n’allez pas me voler ma besogne,vous ?

– Hein ! fit Timoléon.

La voleuse s’avança, menaçante :

– Ce n’est pas vous qui l’étranglerez,dit-elle, c’est moi ! Et je n’ai pas besoin de votre corde,mes mains suffisent, ajouta-t-elle avec un accent de hainesauvage.

– Arrière ! dit Timoléon.

– Par exemple ! s’écria la Chivotte,c’est mon ouvrage ça. J’ai eu la balle dans les côtes…c’est moi qui…

– Arrière ! répéta Timoléon avecautorité.

– Cependant, patron, observa le Pâtissieravec déférence, elle a raison, la petite.

– Certainement, elle a raison, ditTimoléon, mais le moment n’est pas venu.

– Qu’est-ce que vous chantez-là,papa ?

– Je dis que le moment n’est pas venu,répéta Timoléon. Quand il sera venu, on te fera signe, petite.

– Comment ! dit le Pâtissier, nousn’allons pas la tuer toute de suite ?

– Non.

– Pourquoi donc ?

– Parce que j’ai mon idée…

Et, avec le ton du commandement, Timoléonajouta :

– Allons, mes enfants, ficelez-moiproprement mademoiselle et fourrez-lui un mouchoir dans la bouche.Nous avons encore une bonne trotte à faire cette nuit.

**

*

Un quart d’heure après, garrottée etbâillonnée, Vanda était placée sous la garde de la Chivotte, dansun fiacre qui se mettait en route pour une destinationinconnue.

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