Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 27

 

Franz s’arrêta interdit à la vue deAli-Remjeh.

Lui aussi avait reconnu le terribleIndien.

Celui-ci fit un bond vers la porte et laferma.

Puis il se plaça devant, de façon à barrer lepassage au prétendu major allemand.

Franz jeta un regard sur milady.

Milady baissa les yeux.

Franz comprit que l’étrange pouvoir defascination exercé jadis sur elle par Ali-Remjeh avait repris toutempire.

– Esclave, dit Ali-Remjeh, tu as osélever les yeux sur la femme que j’ai aimée, tu vas mourir.

Il ramassa le poignard qu’il avait jeté dansun coin de la chambre, tout à l’heure, attendri qu’il était par lesprières de milady.

Mais Franz était un homme hardi et il retrouvatoute son audace.

Lui aussi, il était de haute taille ; ilavait les épaules larges, le cou musculeux et une forceherculéenne.

Et, s’acculant dans un coin de la chambre ettirant un poignard à son tour :

– Ali-Remjeh, dit-il, tu te trompes, jene suis plus un esclave.

– Ah ! fit Ali-Remjeh avec dédain,qu’es-tu donc ?

– Je suis un homme que milady a élevéjusqu’à elle.

– En vérité ! ricana l’Indien.

– Et que son amour a fait son égal.

L’Indien haussa les épaules ; mais il nebougea pas.

Et, s’adressant à milady :

– Vous l’entendez, madame ?dit-il.

Milady tremblait et continuait à baisser lesyeux.

– Cet homme se vante d’être aimé de vous,miss Ellen ! poursuivit Ali-Remjeh avec un accent dedédaigneuse ironie, dites-lui donc qu’il est un vil esclave, unassassin salarié.

– Milady, disait Franz de son côté, ditesdonc à Ali-Remjeh que, depuis plus de dix années, mes lèvres sesont unies à vos lèvres, que votre cœur a battu sur mon cœur, quenous avons eu la même vie, partagé les mêmes douleurs et les mêmesjoies.

Milady gardait un silence farouche.

Franz brandissait son poignard et, s’exaltantpar degrés :

– Oui, dit-il, je le vois, cet homme tefait peur, Ellen. Il t’a menacée, au nom de son pouvoir mystérieuxet terrible. Mais je ne le crains pas, moi !

Ali-Remjeh haussait les épaules et regardaitFranz avec un dédain suprême.

– Mais dis-lui donc que tu m’aimes !s’écria Franz avec un accent de haine jalouse, et je vais luienfoncer mon poignard dans le cœur.

Ces derniers mots rompirent le charme péniblequi semblait peser sur milady et la paralyser.

Elle redressa tout à coup la tête ; sonœil étincela, sa lèvre devint hautaine ; la fille des pairsd’Écosse reparut tout entière en elle…

Et, foudroyant le major Hoff d’unregard :

– Esclave, dit-elle, tu mens comme un villaquais. Je ne t’ai jamais aimé… Je ne t’aime pas ; je teméprise !

Franz jeta un cri.

Un moment il tournoya sur lui-même comme unhomme frappé de la foudre.

Puis il jeta un cri sauvage et ses yeuxs’injectèrent de sang.

Et tandis qu’Ali-Remjeh, calme et sombre,différant sa vengeance, paraissait jouir de ce triomphe inattendu,le dédain de milady pour Franz, ce dernier ivre de rage s’élançavers elle le poignard levé :

– Tu vas mourir la première !dit-il.

Mais avant que son bras ne fût retombé,dirigeant l’arme meurtrière vers la poitrine de milady, un bruit sefit dans l’air, pareil au sifflement d’une vipère qui aurait desailes, et le terrible lasso des Étrangleurs lancé par la mainexercée et rapide d’Ali-Remjeh s’abattit autour de son cou, s’yenroula deux fois et le renversa inanimé sur le parquet.

Franz tomba comme une masse, en poussant uncri étouffé, s’agita convulsivement pendant quelquessecondes ; puis garda l’immobilité de la mort.

Alors Ali-Remjeh prit dans ses bras milady,folle de terreur, et lui dit :

– Viens ! allons chercher notre filset fuyons !

**

*

Cependant l’âme du major Hoff pensait dans soncorps immobile.

Était-il mort, vivait-il encore ?

Lui-même n’aurait pu le dire, quoique sapensée ne fût pas éteinte.

Le lasso avait peut-être amené la mort ducorps, mais l’âme qui est immortelle, n’avait point abdiqué sahaine jalouse.

Il se passa alors un phénomène impossible àexpliquer, mais qui n’est point sans exemple.

L’âme du major Hoff, comme si elle eût été lejouet d’un rêve, traversa les espaces et suivit pas à pasAli-Remjeh et milady.

Combien de temps dura ce voyage ?

Mystère !

La nuit s’écoula, le jour vint ; onpénétra dans la chambre abandonnée de milady et on trouva le majorHoff sans connaissance.

Un médecin appelé en toute hâte, déclara qu’ilavait cessé de vivre.

Mais un étranger, un Russe, qui se trouvaitpar hasard dans le Grand-Hôtel où il était venu faire une visite,prévenu, par la rumeur qui se fit, de ce mystérieux événement,entra dans la chambre qui était pleine de monde, s’approcha duprétendu mort et l’examina attentivement.

Puis, se tournant vers le médecin :

– Je crois, docteur, dit-il, que vousvous trompez. Cet homme n’est pas mort.

Le docteur fit la grimace, comme tout médecinconsciencieux qui voit son opinion combattue.

– Je vous le répète, dit le Russe, cethomme n’est pas mort.

– Vous êtes donc médecin ? fitdédaigneusement le docteur.

– Je m’appelle le major Avatar, et jesuis médecin à l’occasion.

Et Rocambole, car c’était lui, s’installa auchevet du major Hoff en disant :

– Je vais le ressusciter !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer