Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 13

 

Bob continuait ainsi son récit :

« Huit jours plus tard, le commodorePerkins entra dans la chambre de sa fille.

Le vieillard avait le front sévère et chargéde nuages ; cependant, à son geste et à sa démarche, il étaitfacile de voir qu’il s’était juré d’être calme et de ne pointsortir des bornes d’une froide modération.

C’était la première fois qu’il mettait le pieddans la chambre de sa fille depuis sa délivrance.

Miss Ellen se dressa avec peine sur son séanten le voyant entrer.

– Miss Ellen, dit le vieillard, je neviens vous faire aucun reproche. Votre conduite ne me touche qu’enceci : que vous portez mon nom et que je ne veux pas que cenom soit déshonoré.

Miss Ellen ne répondit pas.

– Vous avez commis une faute. Quel estvotre complice, je ne veux pas le savoir. Encore moins, je songe àune réparation. Il n’est jamais entré dans mes idées que vous vousmarierez.

Par conséquent, je viens vous donner àchoisir :

Ou entrer dans un couvent,

Ou partir sous la conduite de Bob, monintendant, qui vous conduira en France.

Dans le premier cas, je me chargerai de votreenfant et le ferai élever modestement, comme il convient à l’enfantqui n’aura jamais de nom.

Dans le second cas, vous changerez de nom. Jeme suis procuré des actes authentiques, vous désignant sous le nomd’Ellen Percy, orpheline.

Bob vous conduira en France, dans le pays quevous aurez choisi pour votre résidence, et vous y remettra centmille francs.

Avec cette somme vous élèverez votre enfant àvotre guise.

Miss Ellen tendit vers son père ses mainssuppliantes.

Mais son père la repoussa.

Puis il dit encore :

– Le médecin qui vous soigne, et qui m’ajuré le secret sur la tête de sa femme et de ses enfants, m’affirmeque dans quatre ou cinq jours vous pourrez vous mettre enroute.

Je vous en donne huit, mais pas une heure deplus, car votre sœur arrivera avec son fiancé, et je ne veux pasque ma maison soit souillée plus longtemps par votre présence.

– Mon père ! dit encore miss Ellen,qui essaya de fléchir le vieillard.

– Je ne suis pas votre père ! dit lecommodore.

Ces mots produisirent sur miss Ellen unerévolution complète.

Elle se dressa haletante, l’œil en feu ;elle enveloppa le vieillard d’un regard de haine :

– Ah ! dit-elle, n’insultez pas mamère ! je vous le défends !

Et elle retomba sans force, les lèvresfrangées d’écume, sur son oreiller.

Le vieillard sortit en ricanant.

Alors miss Ellen se prit à fondre enlarmes.

Franz entra.

L’enfant vagissait dans un berceau auprès dulit de sa jeune mère.

Franz prit l’enfant et le lui tendit.

Miss Ellen prit son fils dans ses bras et l’yserra avec fureur.

– Oh ! murmura-t-elle, je hais cethomme qui me renie pour sa fille, de toutes les forces de mon âme.Je hais cette sœur à qui on me sacrifie… Je hais…

– Ne haïssez plus personne, missEllen ! dit alors une voix grave et douce sur le seuil.

Miss Ellen tourna la tête et jeta un cri.

Un cri de joie, un cri de lionne qui retrouveau désert le lion dont elle a reçu les caresses et qu’elle croyaittombé sous la balle des chasseurs.

Un homme venait d’entrer, et Franz s’étaitempressé de fermer la porte au verrou.

Cet homme qui apparaissait tout à coup à missEllen comme un sauveur, comme une providence, c’était celui qu’elleavait rencontré par une soirée de brouillard la veille duChristmas.

Miss Ellen lui tendit les bras et l’enlaçaavec transport.

Puis cet homme se dégagea, prit l’enfant et lecouvrit de caresses en l’appelant :

« Mon fils ! »

Et miss Ellen ne pleurait plus. Miss Ellensouriait… et elle contemplait avec orgueil cet homme à qui elledevait les joies et les tourments de la maternité.

– Ah ! disait-elle, tu viens mechercher, n’est-ce pas ? tu viens m’arracher aux brutalités decet homme qui me renie pour sa fille ?

– Je viens te venger, répondit-il.

Elle se redressa écumante, l’œil plein dehaine :

– Oui… dit-elle, oui…venge-moi !

Cet homme fit un signe à Franz et Franzsortit.

Comme l’Allemand franchissait le seuil de lachambre, il lui dit :

– Prends bien garde que le commodore nerevienne… et s’il revenait…

– Oh ! dit Franz avec un sourire, etdans les mains duquel on vit briller un poignard, ne craignez rien…il n’arriverait pas vivant !

Franz sorti, l’inconnu ferma la porte.

– Ah ! dit-il en s’asseyant sur lebord du lit de miss Ellen et lui prenant la main, tu veux que je tevenge ?

– Oui.

– Tu hais le commodore ?

– Comme on hait l’homme qui a insultévotre mère.

– Et ta sœur miss Anna ?

– Comme on abhorre ceux qui vousdépouillent.

Cet homme fronça le sourcil.

Il était beau, en ce moment, d’une beautésauvage et cruelle.

– Mais tu ne sais donc pas qui jesuis ? dit-il.

– Je sais que tu es beau, je sais que tues fort, je sais que je frissonne sous ton regard et que je palpiteau son de ta voix, je sais que je t’aime comme une esclave et queje vivrais heureuse, enchaînée à tes pieds, répondit-elle avecenthousiasme.

– Miss Ellen, dit-il encore, je ne suispas Anglais.

– Que m’importe ! je hais ce pays oùles lois permettent à un père de dépouiller sa fille.

– Je ne suis pas chrétien.

– Que m’importe encore ! blasphémamiss Ellen.

– As-tu entendu parler de cette sectemystérieuse qui règne dans l’ombre aux Indes, sous le nomd’Étrangleurs ? poursuivit l’inconnu.

– Oui, dit miss Ellen.

– Cette secte, véritable gouvernement desténèbres, dicte les lois à la compagnie des Indes, condamne sansappel et sème l’épouvante, la désolation et la mort autourd’elle.

– Je le sais, dit miss Ellen.

– Elle redresse quand elle veut, destorts et des injustices, poursuivit-il.

Elle fait riche l’enfant spolié, elle tue lespoliateur.

– Mais, en fais-tu donc partie ?demanda miss Ellen le regardant.

– Je suis son chef suprême,répondit-il.

– Oh ! s’écria la jeune mère avecune sombre admiration, il n’en pouvait être autrement. Un hommecomme toi ne saurait obéir, il est fait pour commander.

Et lui jetant ses deux bras autour ducou :

– Parle, dit-elle, ordonne, maître, jet’obéirai.

– Prends garde, fit-il encore, prendsgarde, miss Ellen ; si tu m’acceptes pour vengeur, il faudram’obéir… m’obéir jusqu’au bout.

– Va, dit-elle en le regardant avecfierté, va… je n’ai pas peur… tu es mon seigneur et maître… et jesuis prête à obéir.

– Qu’il soit fait comme tu le veux,dit-il, je me nomme Ali-Remjeh.

**

*

Que se passa-t-il alors entre Ali-Remjeh, lechef des Étrangleurs, et miss Ellen, la fille maudite ?

Sans doute, Bob ne le sut jamais au juste, caril avait espacé son manuscrit de plusieurs lignes de points.

Rocambole demeura un moment pensif.

Puis il tourna le feuillet et continua.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer