Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 4

 

Rocambole revint donc à Paris.

– Où faut-il vous conduire ? demandale cocher tout tremblant.

– À la préfecture, réponditRocambole.

La terreur du cocher augmentait.

– Mon garçon, lui dit Rocambole, je nedois pas te cacher que tu as été, sans le vouloir, je veux bien lecroire, le complice d’un attentat.

– A-t-on assassiné la personneenlevée ?

– C’est ce que je ne sais pasencore ; et c’est ce que je saurai bientôt.

– Mais, mon bon monsieur, dit le cocher,je vous jure que je suis innocent…

– C’est possible. Mais ton affaire n’estpas bonne. Où demeures-tu ?

– À la Chapelle, rue de la Goutte-d’Or,n° 2.

– Ton nom ?

– Ambroise Giraud.

Rocambole tira son carnet de sa poche etinscrivit ce nom et cette adresse.

Le cocher tremblait de tous ses membres.

– Conduis-moi toujours, dit Rocambole.Nous verrons…

Le cocher gagna la rue Lafayette et la suivitjusqu’au faubourg Saint-Martin ; mais lorsqu’il allaits’engager dans cette nouvelle artère qui, descendant vers lesboulevards, était la voie la plus courte pour arriver à lapréfecture de police, Rocambole lui dit :

– Ramène-moi donc avenue Marignan.

Le cocher poussa un soupir de soulagement etcontinua à suivre la rue Lafayette, descendit vers la rue Laffitte,gagna le boulevard des Capucines et, de là, les Champs-Élysées.

Rocambole réfléchissait durant le trajet.

Le cocher vint s’arrêter devant la grille dupetit hôtel où il avait stationné déjà pendant la nuit précédente,tandis que Timoléon, la Chivotte et le Pâtissier enlevaientVanda.

Rocambole lui dit :

– Attends-moi !

Et il s’élança dans l’hôtel.

Milon n’avait pas bougé. Quand Rocambole luiavait donné une consigne, l’honnête colosse n’y eût pas manqué enprésence de l’échafaud.

– Eh bien ? fit-il anxieux.

– Je suis sur ses traces, réponditRocambole.

– Ah !

Et le maître raconta comment son instinctmerveilleux lui avait fait retrouver le cocher et comment il étaitallé jusqu’à l’endroit où Timoléon et ses complices avaient forcéVanda à descendre de voiture.

– Eh bien ! dit Milon, il faut allerà Pantin.

– Sans doute.

– Et le plus tôt sera le meilleur.

– Non, dit Rocambole. Ou les misérablesont déjà assassiné Vanda, ou ils la gardent prisonnière. Dans cedernier cas, si nous voulons la délivrer, c’est en allant, la nuitprochaine, nous mêler aux voleurs et aux vagabonds, qui seréfugient dans les carrières.

– Vous avez raison, murmura Milon. Maisque c’est long d’attendre à ce soir ?

– Il le faut.

– Et que ferons-nous d’ici là ?

– Qui sait ? Timoléon viendrapeut-être se jeter sur notre passage. Il n’a pas enlevé Vanda d’icisans avoir quelque projet sur l’hôtel où nous sommes.

– C’est juste, dit Milon.

Rocambole rejoignit le cocher.

– Tu peux t’en aller, lui dit-il. Mais jete conseille de reconduire ta voiture à la compagnie, de dire quetu es malade et de rentrer chez toi.

– Pourquoi donc ? demanda naïvementle cocher.

– Parce que, d’un moment à l’autre, onpeut avoir besoin de toi, à titre de témoin, et il faut qu’on t’aitsous la main. Je pourrais te mettre en état d’arrestation, mais tuas l’air d’un honnête homme, plus bête que coupable, et j’ai pitiéde toi.

Le cocher crut Rocambole sur parole et se mità verser des larmes de reconnaissance.

Rocambole ajouta :

– Maintenant un dernier conseil, et jet’engage à en profiter.

– Oh ! monsieur, murmura le pauvrediable, de plus en plus convaincu qu’il avait affaire à un hautagent de police, parlez ! Je ferai tout ce que vousvoudrez.

– Le hasard pourrait te remettre enprésence de l’un de ces trois bandits.

Le cocher frissonna.

– La police a l’œil sur toi,souviens-t’en. Si tu venais à manger le morceau, tudeviendrais tout à fait complice.

– Ils sont gerbés d’avance,répondit le cocher, s’il n’y a que moi pour les prévenir.

Et il s’en alla, pénétré dereconnaissance.

**

*

Or, ce que nous venons de raconter se passaitprécisément le soir de ce jour où Timoléon prenait ses dispositionspour délivrer sir James Nively.

Nous l’avons vu sortir à la nuit, sousprétexte d’aller manger dans une gargote du carré Saint-Martin, etse heurter, à l’angle de la rue de ce nom, avec un homme quimarchait d’un pas rapide.

Cet homme, on s’en souvient encore, qui ne lereconnut pas, et qu’il reconnut, lui, c’était Milon.

– Bon ! s’était dit Timoléon avec unsourire, il va savoir rue du Vert-Bois si on n’a pas des nouvellesde Vanda.

Timoléon se trompait.

Milon allait rue du Vert-Bois, par ordre deRocambole, savoir si personne n’avait rôdé autour de la maison etsi rien de nouveau n’était survenu depuis la nuit précédente.

Comme Timoléon avait merveilleusement joué sonrôle de placeur, et que, de plus, il avait agi en grand mystère, lefruitier répondit à Milon que tout était dans l’ordre accoutumé, etMilon s’en alla.

Rocambole lui avait donné rendez-vous à labarrière de Belleville, dans un cabaret situé en face de l’ancienneet fameuse Courtille.

Milon n’était plus vêtu de ce confortablepaletot qui lui donnait l’air d’un domestique de confiance.

Il avait revêtu l’uniforme obligé des gens quivont la nuit chercher un refuge sur les fours à plâtre.

Pantalon sale et frangé, souliers éculés,blouse déchirée recouvrant un lambeau de paletot, linge devenunoir, cravate en corde, chapeau défoncé, rien n’y manquait.

Jamais mendiant doublé de voleur n’avait euune mise plus réussie.

Rocambole, qu’il eut rejoint en moins de vingtminutes, avait également dépouillé jusqu’à la ressemblance du majorAvatar.

Il avait une redingote graisseuse, unecasquette de velours posée sur l’oreille, un gilet à carreauxrouges, et il avait mis son pantalon dans de vieilles bottesplusieurs fois remontées.

Une large chaîne en chrysocale, veuve de toutemontre, et une pipe en fausse écume complétaient cette tenue quiétait celle d’un de ces hommes qu’on voit errer à onze heures dusoir chez les marchands de vin, ayant au bras des créatures fardéesqui n’ont conservé de la femme que le nom.

On aurait pu, à le voir ainsi, l’appeler lebeau Polydore ou le joli Dodolphe.

Le cabaret dans lequel Milon le rejoignitétait rempli d’un monde auquel ils semblaient maintenantappartenir.

Il y avait un peu de tout : quelquesouvriers honnêtes, et beaucoup de créatures perdues, de vagabonds,de voleurs à la flan et à la tire.

Tout cela riant, buvant, criant, se disputantet faisant un tapage d’enfer.

– Restons ici un moment, dit Rocamboletout bas après avoir demandé une chopine, nous aurons peut-être desnouvelles de Pantin.

En effet, comme Milon s’asseyait, la porte ducabaret s’ouvrit et une femme entra en disant :

– Merci ! j’en ai assez descarrières ! Tous ces brigands-là n’ont-ils pas manquém’assommer ?

– Tiens ! dit une des femmes quibuvaient dans le fond de la salle, c’est toi, Nora ?

– Oui, c’est moi.

– Tu as un œil au beurre noir, mapetite.

– C’est les gens de Pantin que me l’ontmis sur le plat répondit-elle.

– Écoutons, dit Rocambole qui se prit àregarder cette fille avec attention.

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