Le Dernier mot de Rocambole – Tome II

Chapitre 38

 

Franz, en entrant, avait refermé la portederrière lui. Milady, bouleversée, était tombée à genoux.

Cet homme qui savait ses crimes, cet hommequ’elle avait aimé, qu’elle avait trahi, ne venait-il pas pour latuer.

Elle joignit les mains et balbutia les mots degrâce et de pardon.

Franz se mit à rire.

– Madame, dit-il, je n’ai pas de grâce àvous faire, ni de pardon à vous octroyer. Je ne suis pas le maîtreici, et votre sort n’est pas dans mes mains ; vous m’avezabandonné pour Ali-Remjeh, qui n’a pas su vous défendre. Moi, je mesuis borné à devenir l’esclave de vos ennemis, et ce qu’ils mecommanderont, je le ferai.

Milady, au comble de l’épouvante, regardaittour à tour Rocambole et le major Hoff, semblant se demander cequ’elle allait devenir entre leurs mains.

Rocambole reprit, après un moment desilence :

– Je vous avais offert le moyen de voussauver, madame, d’avoir une vie calme et heureuse, – si toutefoisvos remords vous le permettaient, – auprès de votre fils et de sajeune femme, et vous avez été sourde à mes conseils.

Milady retrouva tout à coup sa fougueuseénergie :

– Vous vouliez me faire dépouiller monfils ! s’écria-t-elle.

– D’une fortune qui ne lui appartientpas, dit froidement Rocambole.

– Jamais ! dit-elle avec force. Nulne sait où est cette fortune, nul ne le saura…

– Vous vous trompez, milady, dit Franz,car je sais où elle est, moi.

– Vous ! vous ! exclama-t-elleavec une sorte d’épouvante irritée.

– Je n’ai pas vécu vingt années avecvous, répondit le major Hoff, sans avoir pénétré tous vossecrets.

– Et tu sais, misérable !…

– Je sais qu’il suffira de présenter à unmagistrat du nom de sir John Mac-Ferson, qui habite Édimbourg, unmédaillon que vous avez toujours au cou, pour qu’il remette à celuiqui en sera porteur les titres de propriété de cette fortuneentièrement monnayée, qui se trouve aux mains de la maison debanque Davis-Humphry et C°. Milady regardait tour à tources deux hommes au pouvoir de qui elle était toutentière.

On eût dit une tigresse prise aupiège.

– Mon fils !murmurait-elle, mon fils !

– Parlez bas, madame, lui ditRocambole, car votre fils est près d’ici et il pourrait nousentendre, et alors…

– Alors ? fit-elle d’unton de menace.

– Alors, nous serions bienforcés de lui dire la vérité.

– Il ne vous croiraitpas !

– C’est possible, ditRocambole ; mais, dans huit mois, lorsque vous aurez été jugéepar une cour militaire en même temps que vos complices lesÉtrangleurs, et que vous serez pendue devant la prison de Newgate,il faudra bien que votre fils s’aperçoive qu’on lui avait dit lavérité.

Ces derniers mots terrassèrentmilady.

– Oh ! dit-elle, tombant àgenoux devant Rocambole, vous êtes sans pitié,monsieur.

– Non, milady, réponditRocambole d’une voix grave, j’ai une mission àaccomplir…

– La mission de dépouiller monfils, n’est-ce pas ?

– Milady, reprit Rocambole, lesinstants sont précieux ; dans quelques heures nous serons envue des côtes d’Angleterre et il sera trop tard. Voulez-voustransiger ?

Elle le regarda avec une sorte destupeur.

– Qu’entendez-vous parlà ? fit-elle.

– Si je me tais, si je vouslaisse l’amour et la vénération de votre fils ; si, sur cettefortune immense que je dois vous reprendre, je vous abandonnequelques centaines de mille francs…

– Vous feriez cela !dit-elle avec égarement.

– C’est un droit que je n’aipas ; mais j’ai la conviction que ceux à qui je dois rendre lebien détourné de sa source m’approuveront.

– Après ? dit-elle,après ?

– Voici mes conditions, repritRocambole. Vous allez me rendre ce médaillon.

– Après ? fit-elleencore.

– Au jour, quand nous serons envue des côtes, on arrimera la chaloupe. Vous y descendrez, vous,votre fils, sa fiancée, le père de sa fiancée et mon fidèle Milon,qui sera porteur du médaillon.

Milon aura ordre de vous conduire enAngleterre, et de ne pas vous quitter d’un pas, jusqu’à l’heure oùvous vous embarquerez de nouveau pour la France, où vousretournerez avec votre fils.

Votre fils qui continuera à aimer età vénérer sa mère et ne saura jamais rien du passé.

– Mais, s’écria milady encorehésitante, si je vous rends ce médaillon ?…

– Milon s’en servira pourréclamer la fortune de Gipsy la bohémienne ; et sur cettefortune, quand il sera de retour à Paris, il vous abandonnera unmillion.

Milady courba latête.

Un moment encore elle lutta, ellerésista, elle serra dans sa main crispée le médaillon qu’elle avaitau cou.

Mais Rocambole mit fin à seshésitations par ces mots cruels :

– Vous préférez donc êtrependue, et mourir exécrée et maudite par votrefils ?

Elle poussa un dernier cri etarracha de son cou le médaillon qui y était suspendu par un fil desoie.

Puis elle le jeta sur la table endétournant la tête et étouffant un sanglot.

Rocambole prit le médaillon etmurmura avec un soupir de soulagement, un motunique :

– Enfin !

Mais soudain milady semblant sortirde quelque rêve épouvantable, le regarda et luidit :

– EtAli-Remjeh ?

– Vous ne le reverrezjamais.

– Jamais ?

– J’ai promis de lelivrer.

– Àl’Angleterre ?

– Oh ! fit en souriantRocambole, maintenant que vous êtes devenue raisonnable, milady, cen’est plus en Angleterre que je le conduirai.

– Où le conduirez-vousdonc ? demanda milady anxieuse.

– À Calcutta. Le vice-roi,gouverneur de la compagnie des Indes, sera enchanté de lerevoir.

Milady tremblait de tous sesmembres.

Rocambole se tourna versFranz.

– Major, dit-il, nous sommes àdeux milles de la côte qui doit être en vue depuis longtemps, simes instruments ne me trompent.

Montez donc sur le pont et dites àmon second qu’il fasse préparer la chaloupe.

Franz obéit et sortit de lacabine.

– Mais comment, dit encoremilady, palpitante sous le regard dominateur de Rocambole,séparerez-vous mon fils de son père ?

Il se prit à sourire etrépliqua :

– Vous verrez, tout estprévu…

Milady courba la tête et deux larmesbrûlantes jaillirent enfin de ses yeux.

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